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THËOLOGIQCE ,
OU
SÈm DE DICnORHAIRES 8ÜR TOUTES LES PABTIES DE LA SGIEHCE REU61EU8E,
orrmAVV mu ruAucAUf mu uau ommmm AiMAmÉrxQm,
LA PLÜS CLAIRE, LA PLÜS FACILE, LA PLUS COMMODE, LA PLUS VARIÉE
ET LA PLÜS COMPLÈTE DES THÉOLOGIES.
CBS DICT10NNAIRB8 SONT CEUX
D*£cR1TURE sainte, — DE PHILOLOGIE SACRÉE, — DE LITURGIE, — DE DROIT CANON,—
DES HÉRÉSIES, DES SCHISMES, DES LIVRES JANSÉNISTES, DES PROPOSITIONS ET DES LIVRES CONDAMNÉS*
— DES CONCILES, — DES CÉRÉMONIES ET DES RITES, —
DE CAS DE CONSCIENCE, — DES ORDRES RELIGIEUX (HOMMES ET FBMMES), — DES DIVERSES RELIGIONS, —
DE GÉOGRAPHIE SACRÉE ET ECCLÉSIASTIQUE, — DE THÉOLOGIE MORALE, ASCÉTIQUE ET MYSTIQUE*
— DE THÉOLOGIE DOGMATIQUE, CANONIQUE, LITURGIQUE, DISCIPLINAIRE ET POLÉMIQUE,
— DE JURISPRUDENCE CIVILE-EGCLÉSIASTIQUE,
— DBS PASSIONS, 'des VERTUS BT DES VICES, — D'hAGIOGRAPHIE, — DES PÈLERINAGES RELIGIEUX, —
d'astronomie, de physique et de Météorologie religieuses, — d'iconographie chrétienne, — DE chimie et de minéralogie religieuses, — DE DIPLOMATIQUE CHRÉTIENNE, —
DBS SCIENCES OCCULTES, — DE GÉOLOGIE ET DE CHRONOLOGIE CHRÉTIENNES.
PUBUÉB
a
PAR M. L’ABBÉ MIGNB,
DS t,A miMAiovmtçnm do cdokoé,
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DES OOVRH COHDUIVH SUR CHAQUE BRANCHE DE LA SCIENCE ECCLÉSIASTIQUE.
PRIX : 6 PR. LE VOL., POUR LE SOUSCRIPTEUR A LA COLLECTION ENTIÈRE, 7 FR., 8 FR., ET MÊME 10 FR. POUR LE
SOUSCRIPTEUR A TEL OU TEL DICTIONNAIRE PARTICULIER.
BS VOLUMES, PRIX : 8tS FRANCS.
TOME OlVZlAnE.
DICTIONNAIRE DES HÉRÉSIES, DES SCHISMES, DES AUTEURS ET DES LITRES JANSÉNISTES, DES OUVRAGES MIS A LINDEX, DES PROPOSITIONS CONDAMNÉES PAR L'ÉGUSE,
ET DES OUVRAGES CONDAMNÉS PAR LES TRIBUNAUX FRANÇAIS.
TOMB PREMIER.
2 VOL. PRIX : 16 FRANCS.
S’IMPRIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE, ÉDITEUR
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D'ÂMBOISE, AU PETIT-MONTROUGE
BARRIÈRE d’enfer DE PARIS.
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DICTIONNAIRE
DES HÉRÉSIES
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MÉMOIRES
POUR SERYIR À l'histoire
DES ÉGAREMENTS DE LŒSPRIT HUMAIN
PAR RAPPORT A LA RELIGION CHRÉTIENNE;
PRÉCÉDÉ
»'VII DISCOURS DANS LEQUEL ON RECHERCHE QUELLE A ÉTÉ LA RELIGION PRIMITIVE DES HOMMES, LB8 CHANGEMENTS QU*ELLB A SOUFFERTS JUSQU’a LA NAISSANCE DU CHRISTIANISME,
LES CAUSES GÉNÉRALES, LES FILIATIONS ET LES EFFETS DES HÉRÉSIES
QUI ONT DiyiSÉ LES CHRÉTIENS;
OUTRAGR AUGMENTÉ DE PLUS DE 400 ARTICLES, DISTINGUÉS DES AUTRES PAR DES ASTÉRISQUES; lOfrriNDÉ jusqu'à nos jours pour toutes les matières QUI EN PONT LE SUJET, COMME POUR LE DISCOURS PRÉLIHINAIRB,
REVU ET CORRIGÉ d'uN ROUT A l’aUTRE;
dAdiA a MOTBB 8A1NT-pAbB IiB PAPB pib IX,
PAR M. L’ABBÉ J.-J“ CLARIS,
ancien professeur de théologie;
SUIVI
I* »\ni MenoNNAiRi nocveav des JANSÉNISTES, conferant un aperçu historique de leur fis, ht un exahen critioue
DE LEURS LIVRES,
PAR M. L’ABBÉ ,
Membre de plusieurs sociétés savantes;
M V Index des uvrbs dépendus par la sacrée congrégation de ce nom, depuis sa création jusqu'à nos jours,
5* DBS PROPOfflTiONS condamnées PAR l'ÉGUSB DEPUIS L*AN 411 JUSQU’a PR^SENT;
4* DS LA LISTE COMPLÈTE DSS OUVRAGES CONDAMNÉS PAR LES TRIBUNAUX PBANÇAIS, AVEC LE TEXTE DES
JUGEMENTS BT ARRÊTS TIRÉS DU MOmteUf.
PUBLIÉE
PAR M. L’ABBÉ MIGNE,
ABIVBOB OB BB BIBBIOPKA^BB OHIVBBSBBIia DV OBaBBÉ,
OU
DBS €OüBÎl COMVUBVM SUB CHAQUE BRANCHB DE LA SCIENCB ECCLÉSIASTIQUE.
TOME PREMIER.
3 roL. PBiz : 16 frarcs.
S’IMPBIME ET SE VEND CHEZ J.-P. MIGNE, ÉDITEUB,
AUX ATELIERS CATHOLIQUES, RUE D’AMBOISE, AU PETIT-MONTROUGE,
BARRiàRB d’bRFBB DB PÀBI9.
1847
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UNivîr- - 9 JUL »73 OF oxr ^
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primerie MIGNË, au PetiuMontrouge.
AVERTISSEMENT.
Le but que nous nous sommes proposé en publiant ce Dictionnaire a^té de réunir loiu ce qui a été écrit de plus e^act sur les hérésies^ les erreurs et Its schismes^ qui ont affligé V Eglise depuis rétablissement du christianisme jusqu*à nos jours. Pour ne rien hasarder téméraireri^enX ^ dans une matière si délicate et si importante^ nous avons dû consulter les monuments les plus authentiques et les plus estimés de l' histoire ecclésiastique; et nous avons pris pour base de notre travail les Mémoires de M* Vabbé Pluquet sur les égarements de resprit humain par rapport à la religion chrétienne; ouvrage généralement estimé^ que nous r^roéuisons (et- taelleofienty avec son Discours préliminaire continué jusqu'à nos jours, tes artidesnouveausc ou refondus ^au nombre d'environ kOO^ sont précédés d'un astérisque {*). Hous soumettons, avec une piété toute filiale^ notre travail au jugement de la sainte Eglise
/
'caiholique-apostolique-romaine^ parlant par la bouche de son chef visible N. S. P, le Pape, t! qui il a été dit en la personne du bienheureux Pierre : J’ai prié pour vouSj afin que votre foi ne manque pas : Ego rognvi pro te, ut non deficint fides taa {Luc. xxii, 32).
J.-J" CLARIS, prêtre.
NOTICE
SUR M. L’ABBÉ PLUQTOT.
Trançois-André-Adricn PluqncI, fiîs d’A- drien Pluqnct et de Madeleine le Gnedois, ‘naquit à Bayeux le H juin 1716. Il eut le •bonheur de puiser , dans le sein de sa famille, les premiers principes comme les premiers exemples d’une éducation ver- tueuse. Pendant le cours de ses humanités, qu’il Bl au collège de Bayeux, son père, et son oncle, curé de Saint-Malo, furent pour lui des maîtres éclairés, qui joignirent aux leçons publiques qu’il recevait dans ses classes ces soins particuliers , bien plus utiles quand ils sont inspirés par cette ten- dresse naturelle c|oe rien ne saurait rem- placer. Aussi le jeune Pluquet qui, dès son enfance, avait montré autant d'aptitude que de goût pour le travail, fit des progrès ra- pides, et obtint presque toujours une supé- riorité marquée sur tous ses condisciples.
A l’Age de dix-sept ans, il fut envoyé dans une pension à Caen, pour y faire sa philoso- phie sous le célèbre M. de Larue qui, dans rette partie si importante de l'enseignement, s’appliquait surtout à pénétrer ses élèrcs des uaximes d’une saine morale ; à les attacher invariablement aux principes de la sagesse et de la vérité, comme aux règles immua- bles de leur conduite; à les prémunir ainsi de bonne heure contre les Hlusions d’une philosophie mensongère qui n’cntralne que les esprits légers, ou ne séduit que les cœurs déjà corrompus. Ce mattre éclairé, si capable d’apprécier le talent de scs disciples, eut bienlél distingué celui du jeune Pluquet, et prévit dès lors ce qu’il serait un jour.
DlCTlOR^TilRR DBS HArÉSIBS. I.
Après avoir aciievé son cours de philoso- phie, M.^ Pluquet songea sérieusement A l’étal qu’il devait prendre ; et dans ce choix il ne consulta ni l’ambition ni la cupidité! Son goût, ou plutôt sa vocation, le détermina pour l’état ecclésiastique. Ses parents, qui avaient sur lui d’autres vues, le pressèrent rivement de se rendre à leurs désirs; mais toutes leurs sollicitations furent inutiles : inébranlable dans sa résolution, il entra aii séminaire de Caen, où il se Irvra tout entier, pendant trois ans, à l’élude de la théologie! et prit ensuite le degré de bachelier dans runirersilé de la même ville.
De retour à Bayeux, il partagea tout son temps entre rélude et la société d'un petit nombre de personnes choisies. Il savait que la retraite et la solitude peuvent seules mûrir le talent, et faire acquérir du véri- tables connaissances; que les premières éludes ne font guère qu’indiquer la roule des sciences, et qu'une longue méditation doit féconder le germe de nos facultés, comme la semence confiée à la terre, en se nourris- sant pendant l’hiver des sucs qui la pénètrent, prépare pour les autres saisons une moisson abondante. Un prêtre de ses amis, licencie en Sorbonne, lui conseilla d'aller continuer ses éludes à Paris; qu’en y trouvant plus do moyens de les perfectionner, il pourrait ou- vrir à ses travaux une carrière à la fois plus honorable et plus utile. L’abbé Pluquet cul de la peine à suivre ce conseil ; sa tendresse pour sa mère, son attachement à sa famille lui faisaient préférer les douceurs d’une ?le
i
ii NOTICE SUR M. L
paisible, passée dans le sein deramilié, aux avantages plus britlanis que pouvait lui of- frir le séjour de la capitale. Le désir d’éteii- drc ses connaissances, la célébrité qui suit les succès littéraires, genre de réputation le plus solide et le plus doux pour les âmes honnêtes, pour celles mêmes qui sont le moins susceptibles des séductions de Tamour- propre, purent seuls triompher de son op- position. L’amour de la gloire, dit Tacite, est la dernière passion dont le sage se dépouille.
Il partit donc en 17^2, âgé alors de 26 ans. Les premières années de son séjour dans la capitale furent employées à faire son cours de théologie, et à prendre des grades dans rimiversité de Paris. Il devint bachelier en 17'i5, et licencié de Sorbonne en 1750. C’é- tait encore alors une voie honorable ou- verte au mérite, pour parvenir aux dignités ecclésiastiques, et un sujet louable d’ému- lation pour ceux que leurs grades appelaient exclusivement, en certains temps de l’année, aux bénéGces qui venaient à vaquer dans les différentes églises du royaume. Quoique M. l’abbé Pluquet fût sans ambition, et qu’il désirât les connaissances que ces titres sup- posent, bien plus que les dignités qu’ils procurent, il ne crut pas devoir négliger les avantages qu’il pouvait en retirer. Admis à la faculté des arts, dans la Nation de Nor« mandie, il mérita l’estime de ses collègues, qui le nommèrent leur procureur auprès du tribunal de l’université; il en remplit les fonctions de manière â justiGer ce choix que la conGance avait dicté.
M. Poitevin, ancien professeur de philo- sophie au collège de Beauvais, queM. l’abbé Pluquet avait eu occasion de voir, en arri- vant à Paris , lui proenra quelques connais- sances miles , qu'il cultivait autant que son cours d’études théologiques, et surtout son goût pour la retraite, son extrême applica- tion au travail , lui en laissaient le temps. Ces premières liaisons lui Grent bientôt con- naître M. Barrois , libraire , que sa probité , ses connaissances en littérature et scs ver- tus sociales distinguaient entre ses con- frères , dans un temps où les Desaint , les Latour , les Mercier honoraient parleurs ta- lents et leurs vertus celte profession estima- ble; où leurs maisons étaient le rendez-vous d'un. grand nombre de savants , de littéra- teurs célèbres, en particulier de plusieurs membres distingués de l'Académie des sciences et de celle des belles-lettres. Per- sonne n’ignore de quels hommes de mérite étaient composés ces deux corps littéraires ; et pour donner une juste idée de M. l'abbé Pluquet, il sufDl de dire qu’il ne fut point déplacé dans une société si bien choisie, et qu’il en obtint l’estime, par la bonté de son caractère, autant que par la justesse de son esprit et l'étendue de son savoir. Entre les hommes de lettres qu'il connut à celte épo- que, je ne puis ne pas en nommer un dont le témoignage est trop honorable à M. Plu- quet, pour le passer sous silence : . c’est M. de Fontenclle qui, dans un âge trè.s- .avancé , conservant encore toutes les grâces
ABBE PLUQUET.
de son esprit, se voyait recherché dans les sociétés les plus brillantes, et jouissait par- tout do la considération la mieux méritée.
M. l’abbé Pluquet eut l’avantage de le con- naître, très-peu de temps après son arrivée â Paris ; et, par l’estime qu’il lui inspira , par l’opinion avantageuse qu’il lui donna de l’honnêteté de son caractère et de la solidité de son esprit, il devint , malgré sa jeunesse, l’ami particulier de ce Nestor de notre litté- rature. On sent tout le. fruit qu’un esprit aussi judicieux , aussi avide de s’instruire, que l’était celui de l'abbé Pluquet , dut reti- rer de ses entretiens fréquents avec un sa- vant si instruit et si aimable.
Aussi la conversation de l’abbé Pluquet réunissait-elle le double avantage de la soli- dité et de l’agrément : elle était toujours as- saisonnée d’une gailé douce , qui donnait plus de prix aux vérités utiles , dont il avait fait sa principale étude. De là colle supério- rité de raison qui , née avec lui, s’était do plus en plus accrue par de fréquentes et longues méditations, et qui, frappant toutes les personnes qui s’entretenaien t avec lui , le faisait re pecter de ceux mêmes dont il no partageait pas les opinions, ou dont il com- battait ouvcricmcni les principes. Car , s’il ne fut pas aimé d’une certaine classe do savants et de gens de lettres, dont il n’adop- tait pas les systèmes, il sut du moins s’en faire estimer et peut-être craindre. Lorsque les premiers ouvrages sortis de sa plume l'eurent fait avantageusement counaitre, sa rcpulatioii naissante attira les regards de ces prétendus philosophes qui faisaient ligue pour sc soutenir , pour se prôner muluelle- menl et s'arroger la possession exclusive de l’esprit , du savoir cl des talents. Trop attentifs à tout ce qui pouvait leur servir oti leur nuire pour ne pas juger par les pre- miers essais de i’abbé Pluquet de ce qu’il serait un jour , Us Grent tous leurs efforts pour l’attirer dans leur parti , pour l’enga- ger à insérer des articles de sa composition dans leur fameux dictionnaire. Mais M. i’abbé Pluquet, trop attaché à la religion, trop fi- dèle au gouvernement, pour vouloir former aucune espèce de liaison avec une secte éga- lement ennemie de l’autel et du trône , refusa constamment de contribuer en rien A la confection d'un dictionnaire qu'il regar- dait comme le dépôt des erreurs anciennes et nouvelles , bien plus que comme le trésor des connaissances humaines, que son iilrc fastueux promelfail d'y rassembler. Au con- traire, il fil souvent voir l’inexactitude de leurs définitions, et combatlit toujours leurs principes. Lorsqu'ils eurent perdu l’espé- rance de le gagner, ils cherchèrent à sc ven« ger de ses refus par des attaques sourdes , par des intrigues secrètes , par des plaisan- teries ironiques qu’ils se permellaieDt entre eux, mais jamais devant lui.
H. l’abbé Pluquet, aussi peu sensible anx marques de leur ressentiment qu’il avait été peu flatté de leurs avances , continuait do s'appliquerau travail avec une assiduité dont rien .ne pouvait le distraire. Pendant qu’rl
IS KOTlCfi sun M.
s'insImisAit dans les sciences relatives à son état, il n'avait point négligé les études d’un autre genre , et principalement celle de l’an- lîqui'lé. Parmi les différents objets qu’eni'- hrasse cette carrière immense, la philoso- phie ancienne avait particulièrement fixé ses regards. Le vaste champ qu'elle offre à parcourir, aGn de connaître toutes les opi- nions qu'enfantèrent les diverses écoles des philosophes grecs, e&t pu effrayer un es- prit qui n'aurail pas joint à une sagacité peu commune une constance infatigable. U. Pluquel,àqui il ne manquait ni la péné- tration ni l'application à l'étude nécessaire pour une pareille entreprise , s’y livra pen- dant plusieurs années ; et le premier fruit de ce long et pénible travail fut un ouvrage qui a pour titre : Examen du Fatalisme , qui parut en 17Si7. 11 avait alors près de qua- rante deux ans; ce qui prouve combien il était éioigué de la précipitation de certains auleors qui, sortis à peine des écoles, n’ayant ea le temps ni d'éliidicr ni de réfléchir , se hâtent de mettre au jour les premières pen- sées d’on esprit vide et sans culture, et ne donnent que des productions avortées. L'abbé Pluquel savait que le vrai talent n’est jamais pressé de se produire , qu'il imite la nature qui prépare longtemps dans le silence et l’obscurité les fruits qui doivent durer long- temps , et qu'elle conduit lentement à leur parfaite maturité. Le succès qu'eut i'£'a;a- men du Fatalisme fut à la fois la justifîca- tion et la récompense de cette sage lenteur.
Cet ouvrage offrait de grandes difflcultés : il nesufGsail pas de connaître toutes les opi- nions que l'esprit de système et la hardiesse de penser ont enfantées depuis la naissance de la philosophie jusqu’à nos jours , sur la nature du monde et sur la cause produc- trice des êtres qu’il renferme; sur leur ori- gine et leur destination; questions impor- tantes • auxquelles on peut ramener toutes les branches de la philosophie , et qui • dans tous les temps, ont singulièrement intéressé la curiosité des philosophes , excité leurs recherches et partagé leurs sentiments. Il fallait encore les exposer d'une manière claire et précise, montrer les principes de toutes les erreurs dont elles ont été l’occa- sion, aCn de pouvoir dissiper tous les nua- ges qui obscurcissent la vérité; présenter uettement, sans les dissimuler ni les affai- blir , les difGcultés des fatalistes , pour les résoudre ensuite avec plus de force et de succès. M. l'abbé Pluquet a su remplir celte lâche difBcile. Il expose d'abord les différents systèmes de fatalisme qui partagèrent les philosophes sur l'origine du monde , sur la natare de Pâme et sur le principe des ac- tions bnmaines. II divise cette première par- tie de son ouvrage en cinq époques , dont la première remonte à la naissance du fatalisme cbex les pc^uples les plus anciens, dans l'E- gypte, la Chaldéc, les Indes et les autres contrées de l'Orient.
Cette époque, peu connue, ne l'arrête qu’un instant, il passe tout de suite à la SCI onde, qui contient les progrès du faU-
,*ABBE PLUQUET. U
lisrae, depuis la naissance de la philosophie chez les Grecs jusqu'à l'origine do christia- nisme. Les principes des différentes écoles do la Grèce, sur la cause de la formation du monde , y sont exposés avec beaucoup do méthode et de clarté.
La troisième époque s’étend depuis la naissance du christianisme jusqu’à la prise de Constantinople. Le flambeau de la reli- gion chrétienne en éclairant l’homme snr son origine, sur rexislence d’un Etre su- prême, intelligent et libre, créateur et con-» servateur de l’univers, rémunérateur de La vertu et vengeur du vice, semblait avoir pré- muni ceux qui en avaient embrassé les dogmes , contre les illusions des syslèmes d'erreurs; il avait établi sur les preuves les plus certaines et les plus frappanlcs, la fi»i de la Providence. Cependant le fatalisme sc glissa dans son sein et y trouva des parti- sans zélés. M. l'abbé Pluquet rapporte les opinions des diverses sectes qui se formèrent au milieu du christianisme , soit en Orient, soit en Occident. Ce fut alors que les Juifs qui, renfermés auparavant dans la Palestine, avaient peu de commerce avec les autres nations, se trouvèrent, après la ruine de Jé- rusalem, dispersés dans presque toutes les parties de la terre. Leurs disputes avec les chrétiens et les idolâtres augmentèrent en eux le goût de la philosophie, dont ils avaient puisé les premières connaissances dans l’é- cole d'Alexandrie, où les rois d'Egypte les avaient attirés environ 150 ans avant Jésus- Christ. Les uns adoptèrent les principes de Platon , les autres embrassèrent les opinions d'Aristote : ces deux philosophes parta- geaient alors l'empire des sciences. Les Juifs soutinrent que la matière et le mouvement étaient éternels, nécessaires et incréés. Mais la secte qui , à celte époque, sc rendit la plus fameuse , et qui se répandit presque dans loutrOrient. ce fut celle do Mahomet. L'opinion du fatalisme devint un de ses dogmes favoris, et demna naissance à plu- sieurs branches de fatalistes, d'où sortirent autant de sectes souvent très-opposées dans leurs principes , mais toutes réunies dans un zèle fanatique qui propageait sa doctrine par les meurtres; et cimentait parle sangla loi de scs nouveaux prosélytes. De l’exposi- tion de leurs erreurs, M. l'abbé Pluquet passe à celles des fatalistes qui établiront leur doc- trine dans l’Inde, à la Chine, au Japon et dans le royaume de Siam; et toujours il en fait coimaitrc l'origine et les progrès.
La qualrième époque, qui embrasse les temps écoulés depuis la prise de Coostanli- Dopie jusqu'au célèbre Bacon, contient l'ex- posé de la révolution que causa, en Occident, la chute de cet empire. Les savants Grecs qui s'enfuirent de Constanlinopic, passèrent la plupart en Italie, et y portèrent, avec (a langue grecque, les dogmes de Pancienne philosophie. Le fatalisme ne tarda pas de s'établir à leur suite dans ces contrées x et l'on vil renaître, au sein du christianisme, toutes les opinions des philôsophes grecs sur cetto matière. M. l'abbé Pluquet nomme les
i5 NOTICE SUR M.
auteurs qui suivirent, les uns les systèmes (l’Aristote, les autres les principes de Pjtha- gore et de Platon ; ceux-ci les sentiments de Zénon, ceux-là les dogmes d’Anaximandre. Kl y en eut qui renouvelèrent la doctrine de Diogène d’Apollonie; d'autres unirent les cipinidns d'Epicure avec les systèmes de râme universelle. Les erreurs des prétendus réformés donnèrent naissance à de nouvelles sectes de fatalistes , dont M. Pluquet fait connaître l'origine et les diverses branches.
Le génie de Bacon, qui porta tant de lu- mière dans les sciences, amena une cin- quième époque remarquable dans Tbistoire de l'esprit humain. Au lieu d'adopter sans examen, comme les savants qui l'avaient précédé, les opinions reçues, il voulut sub- stituer à la tyrannie des noms célèbres l'au- torité de la raison; il Gt usage de ce doute méthodique qui suspend d’abord son assen- timent, pour arriver à la vérité par une marche plus sûre. Descartos, qui emprunta de Bacon celte méthode, lui donna plus d'é- i(?ndue, aiTraiichit la raison de l'empire des préjugés, et rendit à la pensée cette liberté naturelle qui fait son plus bel apanage. Mais i’tsprit humain conserve rarement cette sage retenue dont des génies supérieurs lui donnent l'exemple, et l'on abusa bien(()i du doute méthodique de Bacon et de Descartes. Le coniinencemcnl du dix -huitième siècle vil naître, dans la république des iellrcs, un système de liberté, ou plut()t de licence qui, poussant trop loin les recherches sur l'ori- gine du monde, reproduisit le fatalisme sous de nouvelles formes. Parmi ces fatalistes modernes, on doit citer Hobbes et Spinosa. Ce dernier eut un grand nombre de disciples qui formèrent difTcrcnles sectes, dont M. l’abbé Pluquet expose les principes , ainsi que les opinions de Toland, de Collin.s, de la Métherie, et de quelques autres écrivains moins connus, qui ont paru depuis le com- mencement du dix-huitième siècle jusqu'au temps oû il composait son obvrage.
Dans le chapitre qui termine son premier volume, il réduit toutes les espèces de fata- lisme, « à deux systèmes généraux, dont l'un suppose qu'il n'ëxisie qu’un seul être, qu’une seule substance, dont tous les êtres particuliers sont des modiGcatioiis, des par- ties ou des affections. L’autre système admet une multitude innombrable d'élres, dont la combinaison produit tous ces phénomènes. » C'est sous ce double tableau que M. l'abbé Pluquet préseole toutes les opinions des fa- talistes, et met sous les yeux du lecteur les principes de chacun de ces deux systèmes. C’est de là qu'il part pour exposer et ré- soudre les difGcultés des fatalistes. Les deux volumes suivants sont destinés à remplir ce double objet.
Il commence par l’eiposilion des systèmes qui ne supposent qu'une substance dans le monde, et qui tous, suivant l’observation de l’auteur, se refondent dans le spinosisme. Il a consacré la moitié du second volume à présenter, dans le plus grand détail , les nrincincs de Spinosa; l’autre moitié en con-
L'ABBE PLUQUET. IG
tient la réfutation. C’est dans celte partie que M. l'abbé Pluquet, sans être effrayé des objections des spinosistes, ose les approfon- dir, pour donner plus de force à scs réponses cl plus d'éclat à sa victoire; il n’en laisse aucune sans une solution satisfaisante. Après avoir établi la possibilité de plusieurs substances, il en prouve l'existence réelle; il fonde scs prouves sur les phénomènes des corps dont l’existence est possible ; qui même existent réellement, et qui supposent qu’il existe dans le monde plusieurs substances. L'impossibilité de réunir dans une seule sub« stance, la pemsée et le corps, vérité que l’auteur s’attache parliculièremenl à prou- ver, forme en faveur de la pluralité des sub- stances, même de celles qui ont la pensée en partage, une nouvelle preuve, qui est déve- loppée avec autant de force que de justt^sse.
Le troisième volume renferme la réfuta- tion du système de fatalisme qui suppose plusieurs substances dans le monde. Ici M. l'abbé Pluquet suit une marche un peu diffé- rente de celle qu’il avait adoptée pour coni- baltro le spinosisme. Les philosophes dont U veut détruire les erre^urs, dans celle der- nière partie de son ouvrage, soutiennent que les esprits et les corps existent nécessaire- ment et que la création est impossible. 11 commence par établir des principes géné- raux, qui servent à prouver' la possibilité de la création. 11 expose ensuite les difGcultés des fatalistes sur celle matière , et combat d'une manière victorieuse les argumentH sur lesquels ils se fondent pour soulenir l’exi- sleiice éternelle et nécessaire de tous les êtres. C'est l'objet du premier des cinq livres quo contient ce troisième volume.
Dans le second livre, il examine quelle est la puissance qui a créé ce monde visible, et les différents êtres qui le composent, le ciel et les astres, la terre et les divers anima un qui la peuplent. 11 entre dans des questions intéressantes et curieuses sur la production des animaux , sur leur organisation , leur reproduction, leur mouvement et leur sen- sibilité, phénomènes qui prouvent tous l'in- telligence suprême dont ils émanent. 11 lire la même conséquence de l'eiamcn qu'il fait des plantes, des minéraux et des corps élé- mentaires.
Le troisième livre traite de la nature et de la puissance des esprits ; il y prouve quo l’esprit bninaîn diffère essentiellement des éléments de la matière et des corps; que l’u- nion de l’esprit humain au corps qu'il anime ne peut être l’ouvrage que d’une cause intel- ligente, qui seule a mis entre les sentiments de l’âme et les mouvements du corps les rapports que nous y voyons. Il examine en- suite quelle est la puissance de l’esprit ba- main ; il est capable d’agir, de produire du mouvement, cl de comparer les différents objets qui font impression sur loi.
L'intelligence créatrice est l’objet dn qua- trième livre. L'auteur eu examine la nature : elle est inGnie, immense, toute-puissante, unique; elle a produit tous ses ouvrages li- brement et d’après un dessein qui existait
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NOTICE SUR M. L ACBE PLUQUET.
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dans sa pensée de toute éternité. Cette question importante est terminée par l'cx- position des diffîciiltés que Hobbes et scs sectateurs font contre le sentiment qui attri- bue à cette intelligence la création du monde. L’anteur ne dissimule aucune de leurs ob- jections et n*en laisse aucune sans réponse. 11 serait trop long dVn suivre le détail, et ceux qui voudront approfondir celle matière penyenl recourir à Touvrage.
Le cinquième et dernier livre traite des effets du fatalisme par rapport à la morale. I>e la comparaison que M. Tabbé Pluquet établit entre le système du fatalisme et celui de la liberté, il résulte que le premier dé- troit les sentiments les plus utiles au bon- heur des hommes, et que Tautre les inspire; que le fatalisme ruine tous les principes qui répriment les passions contraires aux inté- rêts de la société, et que le dogme de la li- berté est contre ces passions le frein le plus salutaire. Le fatalisme enfin ne propose à l’homme aucun moyen suffisant pour le por- ter à la vertu et l’éloigner du vice; on no pent même tirer de l’exemple des fatalistes vertuenx aucune conséquence en faveur de l’opinion qu’ils défendent; ce n’est que par une sorte de contradiction à leurs principes qu’ils pratiquent la vertu : au lieu que les défenseurs du dogme contraire sont ver- tueux par une conséquence nécessaire de leurs principes.
L’étude de l’antiquité n’avait point fait perdre de vue à M. l’abbé Pluquet les études théologiques qui, plus analogues à son état, étaient aussi plus conformes a son caractère. Cinq ans après la publication de YExamen du FatalUmey il fil paraître, en 1762, un nou- vel ouvrage qui exigeait la plume d’un his- torien exact, les lumières d’un théologien et la critique d’un esprit Impartial. Le$ Mémoi^ res pour servir à V Histoire des égarements de Vesprit humain, plus connus sous le litre de Dictionnaire des hérésies, réunissent ce triple caractère. Il existait déjà un ouvrage sous ce même titre, et M. Barrois, qui en était le propriétaire , avait seulement désiré que H. Pluquet voulût le retoucher, en faire dis-
Ï paraître les défauts assez considérables qui e défiguraient, et rendre la seconde édition plus digne du public instruit auquel elle était destinée. M. l’abbé Pluquet n’avait donc compté qu’être l’éditeur du Dictionnaire des hérésies; mais la lecture attentive qu’il en fit l’eut bienlût convaincu qu’il fallait le refon- dre en entier et faire un ouvrage tout nou-« veau. Il se chargea de celte lâche importante et la remplit avec honneur.
L’auteur a mis à la tête de l’ouvrage un Discours préliminaire qui remplit le tiers du premier volume, et qui mérite toute l’alten- lion des lecteurs. On a sans doute trop loué ce Discours, quand on l’a comparé â celui du grand Bossuet sur V Histoire universelle, ce chef-d’œuvre immortel d’érudition, d’élo- quence ci do philosophie, auquel rien no peut être comparé dans notre langue; mais nous ne craindrons pasdedire queleDiscours de M. l’abbé Pluquet peut être cité comme
un des meilleurs qui soient sortis de la plume de nos écrivains; qu’il y montre des con- naissances étendues, une érudition peu com- mune, une philosophie sage, une méthode simple et lumineuse, qui, malgré la vaste étendue du .sujet, 'sait éviter les détails su- perflus, et ne donne à la matière qu’il traite que le développement nécessaire.
Dans ce Discours, qui a pour objet le ta- bleau dos égarements de l’esprit hnmain, Tauleur remonte à la religion primitive des hommes; il jette un coup d’œil rapide snr les nations policées et sauvages qui peuplèrent successivement notre globe, et prouve, con- tre l’opinion de quelques sophistes, que tous les peuples ont commencé par reconnaître une intelligence suprême, créatrice de l’u- nivers; qu’il est faux que l’idolâtrie ait été la première religion des hommes, qui do là se soient élevés a l’idée d’un seul Dieu : c’est au contraire Tunilé de Dieu qui fit d’abord la croyance universelle des peuples : l’altéra- tion de cette vérité, devenue dans la suite presque générale, introduisit le polythéisme dans le inonde et enfanta Cf'tte fouie de re- ligions, ou plutût de superstitions diCTérentes dans leur culte, qui se distinguèrent, les unes par des rites cruels et sanguinaires, les autres par des cérémonies aussi puériles qu’absurdes.
M. l’abbé Pluquet développe ensuite les causes de celte altération et ses progrès qui, chez certains peuples, détruisirent presque les idées pures de la religion primitive. 11 expose les différents systèmes religieux qui s’élevè- rent sur les débris des vérifés anciennes. Il fait connaître les opinions Ihéologiques des philosophes de Clialdéc, de Perse, de l’Egypte et de rindc. De là passant dans la Grèce, il examine quels furent les principes religieux des diverses écoles qui s’y établirent depuis la naissance de la philosophie jusqu’à la con- quête de l’Asie par Alexandre, et depuis cette dernière époque jusqu’à colle do l’extinction de son empire, sous les derniers successeurs des Ptolémées. 11 s’arrête avec complaisance sur le conquérant de l’Asie, et lui suppose, d’après le témoignage de Plutarque, biea moins le projet de subjuguer des peuples et de soumettre des provinces, que de réunir tous les hommes sous une même loi qui les éclairât, « qui les conduisit tous, comme le soleil éclaire seul tous les yeux; qui fil dis- paraître entre tons les hommes toutes les différences qui les rendent ennemis, ou qui leur apprit à vivre, à penser différemment, sans se haïr et sans troubler le monde pour forcer les autres à changer de sentiment.» Alexandre, continue M. Pluquet, jugea qu'il fallait unir à l’autorité la lumière de la rai- son, pour établir parmi les hommes ce gou- vernement heureux et sage que la vertu avait fait imaginer aux philosophes. Alexandre, si l’on en croit l’auleur de ce discours, et Plutarque, son garant, ne s’en tint pas à cet égard au seul projet; il eut le bonheur de l’exécuter. « La (erre, dit-il, changea de face sous ce conquérant philosophe : tes peuples cessèrent d’étre ennemis... Alexandre, en
is NOTICE SCR M.
fubjut^uaot rOrienty rendit aux esprits la libèrté que la superstition* le (icspo*is:ne et la barbarie semblaient avoir éteinte. Il ho- nora et récompensa comme des bienfaileurs de rhumanilé tous ceux qui travaillaient à réclaircr, et si la mort l’empécha de bannir l'ignorance, il apprit du moins à estimer les sciences et à rechercher les savants. »
Malçrré notre déférence pour les opinions de M. l'abbé Plnquot, nous croyons qu'il fait ici trop d'honneur au conquérant de l'Asie, non pas seulement en lui attribuant la gloire d'avoir changé la face de la terre, en faisant cesser les haines entre tes nations, en rame* liant tous les esprits à la liberté que la bar- barie et la superstition avaient éteinte; mais même en lui supposant ce dessein. Nous ne nions pas quVn parcourant l'Asie et la sou- mettant avec une rapidité presque incroya- ble, il n'ail fait connatlre, comme le dit Piu- tan]ue, aux peuples de celte vaste conlrée. les >crs d'Homère et la philosophie de Pla- ton; qu'il n'ait civilisé plusieurs nations sauvages, et qu'il n'ait uni pur des mariag' s les Macédoniens et les Perses. Mais qu'il eût conçu le projet de réunir tous les peuples par une même instruction, de leur faire goû- ter à tous les principes d’une philosophie vertueuse, cl de ne faire de tous les hommes qu’une immense famille, que régiraient les mêmes lois, que conduiraient les mêmes lu- mières, qui n’auraient que les mémos affec- tions, et, pour ainsi dire, qu'un même esprit et qu’un même cœur, c'est ce qu'on aura de la peine à sc persuader quand on aura lu riiisloire de ce prince. L’autorité de Plutar- que, si respectable d’ailleurs, ne peut pas être ici d’un grand poids; les deux discours dans lesquels il prèle au roi de Macédoine drs vues si pures et si sublimes ne sont pas gèiiéralemenl reconnus pour être de lui; en •idmeltant même qu'ils le soient, iis sont vi- siblement des productions de sa première jeunesse; le ton de déclamation qu’on y trouve partout, le défaut de crilique qu'on y i.emarque, la manière très-différente dont il parle d’Alexandre dans la Vie de ce prince, écrite dans un âge plus mûr, ne permettent pas d’en douter.
M. l’abbç Pluqu.et passe ensuite aux prin- cipes religieux des Juifs. Ce peuple, que le Seigneur avait séparé de toutes les autres nalions pour le conduire, l'éclairer et le ren- dre le dépositaire de ses oracles et de ses lois, long4emps seul possesseur de la vraie religion, eut sur la Divinité les idées les plus pures et les plus sublimes. Tant qu'il fut renfermé dans la Palestine, le gros de la na- tion conserva la tradition qu'elle avait reçue de MoYse et de ses successeurs. L’idolâtrie cependant altéra souvent la pureté de son cuite, et son penchant au polythéisme ne put être surmonté que par la destruction de Jé« rusalcin et de son temple, cl par une capti*, vito de soixan(e*dix années dans la Chaldée. Les Juifs, après leur retour, ne se rendirent pas coupables de celle idolâtrie grossière à laquelle ils avaient été si longtemps sujets; mais ils n’en furent pas des adornii nrs plus
L’ARBE PLÜQUET. §Ô
fidèles du vrai Dieu. Lorsque les rtofém^es eurent appelé dans l’KgypIc on grand nom« hre de Juifs, en leur accordant le libre exer- cice de leur religion et les mêmes privilèges qu’à lenis sujets, alors leur attachement p >ur leur patrie et leur respect pour la loi de Moïse se relâchèrent insensiblement. Plu- sieurs d’entre eux adoptèrent les idées des Grecs et des étrangers, et s’efforcèrent de les allier avec leur religion, ou pour la défen- dre contre les païens, ou pour y découvrir des vérités cachées sous les voiles de l’allé- gorie, ou même pour combattre et retran- cher de la religion juive les dogmes düliciles et gênants. De là naquirent les sectes des pharisiens, dos sadducéens, des esséniens et d<*s philosophes juifs. M. PluqueC fait con- naître les principes religieux et les erreurs de chacune de ces sectes, et finit par les sa* maritains, qui, comme on sait, étaient les restes des dix tribus schismatiques qui s’é- taient séparées, sous Roboam, du royaume de Juda; qui, sous les Ptolémées, s’étant éta- blis en Egypte comme les Juifs, mêlèrent aussi les principes de leur religion avec ceux de la philosophie platonicienne, et tombèrent dans plusieurs erreurs, que l’auteur du dis- cours a soin d’exposer. 11 considère ensuite quel fut l'élal politique du genre humain depuis l’extinction de l’empire d'Alexandre jusqu'à la naissance du christianisme, et ce- lui de l’esprit humain par rapport à la reli- gion, à la morale, à la politique pendaut le cours de celle époque.
Dans la seconde partie de ce discours, qui commence à la naissance du christianisme, l’auteur, comme il le dit lui-même dans son introduction, « a fait de chaque siècle une espèce d'époque dans laquelle il expose les idées, les mœurs, les goûts, les principes philosophiques de ce siècle; il fait voir que c’est de ces diverses causes réunies que sont sortis les schismes, les hérésies et les sectes qui troublèrent l'Eglise pendant ce siècle; il montre en même temps quels furent les effets de CCS troubles religieux par rapport aux Elats. Par celle méthode, le lecteur suit sans fatigue toute l'histoire des erreurs qui se sont élevées dans le sein de l'Eglise, depuis l’ori- gine du christianisme jusqu'au xvr siècle. Il y voit la naissance, la suceession, le mé- lange des erreurs et des sedes , l'espèce de guerre qu’elles se sont faite en sc chassant, pour ainsi dire, et se détruisant les unes les autres.»
Nous ne pouvons nous empêcher de citer une réflexion que l'auteur fait, en examinant l'étal politique de l’Europe dans le xir siè- cle- L'Occident était alors composé d'une in- finité de petits Etats, dont les chefs se fai- saient une guerre presque continuelle. Les papes s'efforçaient d'arrêter le cours de ces désordres, de rappeler les souverains à la paix, de tourner contre les usurpateurs, les hommes injustes, les oppresseurs des peu- ples, et contre les infidèles, cette passion générale pour les armes et pour les comliats.
« C'est doue, dit à cette occasion M. l'abbé Pluquel , une injustice d'aUriburr à l’ambi-
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lion ou à raYÎdiléÿ les efforts que firent les papes pour étendre leur puissance et pour resserrer celle des princes temporels. M.Leib- niti, dont le nom n’a pas besoin d'épithète, qui avait étudié l’histoire en philosophe et CD politique, et qui connaissait mieui que personne l’état de l’Occident pendant ces siècles de désordres, M. Leibnitz, dis-je, reconnaît que cette puissance des papes a souvent épargné de grands maux.»
Ce témoignage d’un si grand écrivain, que ses opinions ne peuvent rendre suspect, doit nous faire apprécier les déclamations qu’on se permet souvent contre Tambilion et la cupidité des souverains poiUifcs. Sans doute il s’en est trouvé qui, dominés par ces pas- sions, se sont portés à des démarches que la religion réprouve, et M. Tabbé Pluquet ne dissimule point cette triste vérité : mais si Ton était de bonne foi , confondrait-on tous les papes dans celle censure amère? Les re- prêsenlerait-on presque tous comme des ty- rans fanatiques, qui ne voulaient que domi- ner sur les esprits , asservir les consciences, étouffer dans l’homme l'usage de sa raison et de $a liberté, pour n’établir dans tout Tunivors qu’une obéissance passive à leurs décrets et la superstition la plus absurde? Affecterait-on de taire, ou même de calom- nier les services importants qu’ont rendus à rEg'.ise plusieurs papes, aussi grands par leurs talents politiques que par leurs vertus religieuses? Et rendrait-on la religion res- ponsable des abus de quelques-uns de ses ministres, dont elle est la première à con- damner les abus dont ils so sont rendus cou- pables? Reconnaissons donc avec M. l’abbé Pluqoet, que dans ces temps de trouble et d'anarchie, où la paissance civile n’était presque partout qu^oppression et tyrannie, « ce fut pour procurer plus sûrement le bien et la paix, que les papes voulurent s’attribuer tout ce qu’ils parent de la pais- sance et des droits dont jouissaienllesprinces temporels , et dont ils abusaient presque toujours. V Tels sont les objets que renferme ce Discours, aussi recommandable par l’exac- litade des principes que par la sagesse des vues qu’il présente*
Le Dictionnaire même contient en détail rhistoire des égarements de l’esprit humain, qui n’ont été présentés qu’en masse dans le Discours préliminaire. C'est une suite de mémoires, dans chacun desquels, dit l’au- teur, « le lecteur peut saisir d’un coup d’œil l’étal de l’esprit humain, par rapport à la religion chrétienne , à la naissance de telle hérésie, et tes causes qui l’ont produite; en suivre le cours sans interruption; observer ses effets par rapport à la religion ou à la société civile; la voir se répandre avec éclat, s’affaiblir , s’éteindre, renaître sous mille formes différentes , ou donner naissance à d’autres erreurs qui la font oublier.A celte histoire de l’hérésie, ou, si je puis parler ainsi , à cette histoire de la manœuvre des passions et des préjugés pour défendre un parti, une opinion, on a joint une exposition systématique des principes philosophiques
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et Ihéologiques de chaque erreur, depuis sa naissance jusqu’à nos jours : on a examiné ces principes, et Ton a fait voir leur fausseté. On n’a point négligé de faire connaître les auteurs qui ont combattu ces erreurs avec le plus de succès, et les questions de critique ou Ihéologiques qui sont nées, pour ainsi dire, à la suite des disputes et des combats des théologiens, qui attaquaient ou qui dé- fendaient la vérité, et qui sont, si j’ose le dire, comme des pierres d’attente sur les- quelles l’erreur appuiera peut-être un jour quelque système.» Presque tous ces articles du Dictionnaire sont autant de traités histo- riques et Ihéologiques, oû l'auteur, après avoir exposé la naissance, les progrès et les effets de chaque hérésie principale, en dé** veloppe cl en réfute les principes.
Un ouvrage qui supposait autant de con- naissances, autant d’érudition et de critique, que Dictionnaire des hérésies^ augmenta oeaucoup la réputation de M. l’abbc Pluquet. M. de Choiseul , alors archevêque d’Alby, à qui la dédicace de cct ouvrage avait donné lieu d’en connaître le mérite , sentit de quel prix lui serait, pour la conduite de son dio- cèse, un théologien si profond, un philosophe si sage, un esprit si judicieux. 11 se l’attacha donc en qualité de grand vicaire, et le mena depuis à Cambrai, lorsqu’on 176& il fut placé sur ce siège inoportant. Les travaux qu’exi- geaient les nouvelles fonctions confiées à H. l’abbé Pluqnct ne purent le distraire do la littérature, vers laquelle un goût naturel le reportait toujours; mais la gravité de son caractère, l’habitude qu’il avait contractée de bonne heure de ne s’exercer que sur des su- jets sérieux, ne lui permettaient que des oc- cupations de cette dernière espèce : elles étaient pour lui un délassement utile des fonctions pénibles de son ministère, et il n’y consacrait que ses moments de loisir. Nous ne ferons qu’indiquer le titre do ses autres ouvrages.
1* Traité de la sociabilité. Cet ouvrage pa- rut trois ans après celle époque; l’auteur y remonte jusqu’au premier principe de la so- ciété, qu’il fonde sur le besoin mutuel des hommes, et dont le bonheur commun est le but, comme la subordination générale en est le moyen.
^ Traduction française des livres classiques de la Chine, qu’il fit sur la traduction latine que le P. Noël, jésuite, en avait donnée.
« La Iraduclion française, dit M. l’abbé Plu- quel, dans sa préface, est précédée par des observations sur l’origine , la nature cl les effets de la philosophiemorale et politique de la Chine, qui peuvent mettre le lecteur en état de saisir plus facilement , dans la lecture des livres classiques, le systèmede la philoso- phie morale et politique des législateurs chi- nois, qui me semble un des plus beaux monu- mentsdescfforlsde l’esprit humain, pour faire . régner la paix entre tous les hommes, et le bonheur sur toute la terre.»
M. i’abbé Pluquet avait' été nommé en 1776 pour rem]>lir la chaire de philosophie morale au’on venait d'établir au collège do
SIS
France ; cl ce fut après sa rolrailc du collège» en 1784» qu'il publia sa Iraduction des clas- siques chinois.
En 1786» M. l’abbé Pluquet Ot paraître un nouvel ouvrage sur le LuxCf matière fort délicate et contestée. Les uns le jugent fu- neste aux Etats les autres le regardent
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comme nécessaire à la puissance et à la prospérité des empires.
EnGn on a trouvé dans ses cartons un Traité de la superstition et de l'enthousiasme f publié à Paris, chez Adrien Leclerc, en 1804.
M. l’abbé Pluquet oionrut d’apoplexie, le 19 septembre 1790.
9iCT10i>LNAmE DES HERESIES.
IB
DICTIONNAIRE
PES ERREURS ET DES SCHISMES ,
ou
MtMNBES PODR SERTIR A L’HISTOIRE DES EGAREMENTS
DE L’ESPRIT HUMAIN
PAR RAPPORT A LA RELIGION CHRÉTIENNE.
INTRODUCTION.
Sources générales des hérésies
L’homme reçoit de la nature un désir !n<' vincible d’acquérir des connaissances et de les étendre, d’étre heureux et d’augmenter sou bonheur. Ce désir se manifeste dans l’en- fant, dans. le sauvage, et dans l’homme fri- vole, par là rapidité avec laquelle ils saisis- sent et quittent les objets nouveaux ; dans, l’homme donl l’esprit s’est exercé, par l’ef- fort qu’il fait pour tout connaître , tout expliquer, tout comprendre : d«ins tous par un amour iosatiahle du plaisir, de la gloire et de la perfeclion. C’est ce désir qui, déter- miné tour àtour parles sens, par les passions et par l’imagination, ou dirigé par la raison, a tiré les hommes de Tignoraoce et de la barbarie, formé les sociétés, établi des lois, inventé les arts, donné naissance aux scien- ces, enfanté toutes les vertu&ct tous les vices, produit dans la société toutes les révolutions et tons les changements, créé ce labyrinthe de vérités et d’erreurs, d’opinions et de sys- tèmes,de politique, de morale, de législation, de philosophie et de religion, dans lequel, excepté le peuple juif, le genre humain erra jusqu’à la naissance du christianisme.
A la naissance du christianisme, les chré- tiens tournèrent cet effort vers les dogmes et vers la morale delà religion chrétienne. Les
dogmes qu’elle enseigne sont évidemment révélés ; mais beaucoup de ces dogmes sont des mystères : elle prescrit les lois les plus propres à rendre r homme heureux, mémo sur la terre; mais ces lois combattent les passions ou mortiflent les sens : elle promet un bonheur éternel et inflni, mais dans le- quel il y aura des degrés proportionnés aux mérites : enGn clic menace d’un malheur éternel ceux qui ne croient pas ses dogmes, ou qui, n’obéissent pas à ses lois, et elle pro- cure tous les moyens nécessaires pour croire les vérités qu’elle annonce, et pour prati- quer les devoirs qu’elle impose; mais elle ne détruit ni l’activité de Tâme, ni l’inquié- Lide de l’esprit, ni la source des passions , ni l’empire des sens, et ne prévient point dans tous les hommes les écarts de la raison, ou les égarements du cœur. Ainsi l’esprit humain porta dans l’étude des dogmes de la religion. chrétienne, et dans la pratique de scs devoirs, des principes d’illusion, de dé- sordre et d’erreur.
Le chrétien, placé, pour ainsi dire, entre l’autorité de la révélation qui lui proposait des mystères, et 1er désir de s’éclairer qui fait sans cesse effort pour comprendre et pour expliquer tout ce que l’esprit reçoit comme vrai, crut les mystères et lâcha de les rendre intelligibles. 11' ne pouvait lée
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rendre intelligibles que par le moyen des idées que la raison lui fournissait; il rappro- cha les mystères de ses idées ou de ses prin- cipes, substitua quelquefois ses idées aux mystères, ou n’admit dans les mystères que ce qui s’accommodait avec ses principes et avec scs idées; entraîné comme tous les hommes par l’amour invincible du bonheur, déterminé par la religion à le chercher dans les espérances de l’antre vie, tandis que les. sens et les passions lui montraient le bonheur dans les objets qui les flattent , il tâcha de concilier riiitérét des passions et des sens avec les espérances de la religion, ou sacri- Ga fun à l’autre, et vit un crime dans les actions les plus innocentes ; on Gl des actions les plus criminelles autant d’actes de vertu. Celui-ci, épris du bonheur que la religion promet, s’efforça de s’élever jusqu’au sein de la divinité. Pour jouir de ce bonheur ayant la mort, il se livra à la contemplation, eut des visions, tomba en extase, crut s’étre élevé au-dessus des impressions des sens, au-des- sus des passions, aq-dessos des besoins du corps qu’il abandonnait à tout ce qui l’en- yironnait, tandis qu’un autre, frappé du mal- heur des damnés , voyait partout des dé- mons et l’enfer, et négligeait les devoirs les plus essentiels du christianisme, pour s’at- tacher à des pratiques superstitieuses ou barbares, que rimagination et la terreur lai suggéraient.
Telle est en général Tidéo qu’il faut se former des égarements de Te'sprit humain par rapport à la religion chrétienne.
Funestes effets des hérésies.
Tous les homines aiment naturellement h nspirer leurs goûts et leurs inclinations, et à faire adopter leurs opinions et leurs mœurs; mais jamais ce désir n’est plus actif et plus entreprenant que lorsqu’il est animé par le zèle de la religion : c’est dans la religion cbrélteonc un devoir de travailler non-seu- lement à son salut, mais encore au salut du prochain ; ainsi le chrétien zélé qui tombe dans l’erreur, l’enthousiaste dont l’imagina- lîon enfante quelque pratique religieuse, so croit obligé de l’enseigner, et, s’il le peut, de forcer tous les hokmes à parler, à pen- ser, à \ivre comme lui.
L’£glisc, qui veille au dépôt de la foi , condamne l’erreur et prescrit les moyens les plus propres à en arrêter les progrès ; mais le chrétien errant est souvent in- docile à sa voix, et le défenseur de ta vérité ne se renferme pas toujours dans les bornes que la religion et l’Eglise prescrivent au zèle. Dans le moral comme dans le physi- que, la réaction est égale à l’action ; et l’on croit devoir employer en faveur de la vérité tout ce que l’erreur so permet contre elle. Les erreurs des chrétiens ont donc produit des hérésies, des sectes, des schismes qui ont déchiré l’Eglise, armé les chrétiens et troublé les Etats, partout où le christianisme est devenu la religion nationale. Les effets des hérésies, si contraires à l'esprit do la reli- gion, ne sont certainement pas comparables
aux avantages qu’cllo procure aux hommes et aux sociétés civiles.
Le règne du paganisme fut aussi le règne du crime et du désordre. Sans remonter aux teûips les plus reculés, jetons les yeux sur l’état du monde, avant que le christianisme se fût répandu dans l’empire romain. Par- tout on voit les nations armées pour con- quérir d’autres nations, des sujets tyranni- sés par les souverains, des souverains détrô- nés parleurs sujets, des citoyens ambitieux qui donnent des fers à leur patrie, que nul crime n’arrôte, que nui remords ne corrige; partout le faible opprimé par le puissant, partout le droit naturel inconnu ou méprisé, presque partout l’idée de la justice et de la vertu anéantie, ou si prodigieusement défi- gurée, qu’on négligeait même d’en conserver rapparencc. Qu’on jette les yeux sur l’état du monde, sous Marius, sous Syila, sous César, sous Tibère, sous Néron, etc.
Au milieu de cette corruption générale, le christianisme produit des hommes équi- tables, désintéressés , qui osent attaquer le vice, et rappeler les hommes à la pratique des vertus les plus utiles au bonheur do la société civile; il forme une société religieuse qui pratique ces vertus ; il promet aux vrais chrétiens une récompense éternelle et infi- nie, il annonce aux méchants des tourments sans fin. Ceux qui l’embrassent répandent leur sang pour confirmer leur .doctrine, ils aiment mieux perdre la vie que commettre un crime. Qui peut douter qu’une telle doc- trine, qu’une société qui la professe et qui la pratique, ne soit le moyen le plus sûr pour arrêter le désordre, et pour inspirer les vertus les plus essenlielics au bouheur de la société civile?
Il est vrai que les chrétiens ont dégénéré, qu’ils se sont divisés, et que l’on a vu entre eux et dans les Etats un genre de guerre peu connu chez les païens , des guerres de reli- gion ; mais ces guerres ont leur .source iioa dans les principes de la religion , mais dans les passions qu’elle combat , et sou^ vent dans les vices mêmes du gouvernement civil ; souvent l’avidité , respril de do-* mination ont allumé le fanatisme; souvent les factieux et les mécontents ont profité du fanatisme produit par les disputes dca chréjiens ; souvent l’anibUioii et la politique ont fait servir à leurs projets le zèle ver- tueux et sincère ; enfin jamais les hérésies, n’ont été plus funestes à la tranquillité pu- blique, que dans les siècles Ignorants dans les Etais corrompus. *
Peut-on douter que, même dans ces Etats, corrompus , il n’y ait un grand nombre d'hommes qui croient les vérités du chris-! lianisme, et qui pratiquent les vertus qu’il commande ? Peut-on douter que la croyance de ces vérités n’arrête beaucoup de crimes et de désordres, même dans les mauvais chrétiens? Peut-on douter que, dans les Etals corrompus, la religion ne forme dans toutes les conditions des âmes vertueuses et bienfaisantes qui se dévouent au soulage- ment et à la consolation des malheureux ?
INTRODLCTIO.V.
!
t7 DICTIONNAIUE DES IIEUESIES. — INTRODUCTION. 28
Peul-on douter enfin que la persuasion des vérités de la religion ne soit une ressource pour les malheureux , et le moyen le plus propre à faire régner sur la terre la paix , riiumanilé, la douceur, la bienfaisance? Sms la religion chrétienne, que serait de- venue TEurope après la deslruciioii de l’em- pire romain? ce que sont aujouid’hui la Grèce, TAsic Mineure, la Syrie, l’Egypte, tous les royaumes de l’Orient. Les Huns, les Goihs, les Vandales, les Atains, les Francs qui conquirent l’Occident, n’élaient pas moins féroces que les Sarrasins, les Turcs, les Tar- tares qui ont subjugué l’Orient.
Que ceux qui ne connaissent pas la reli- gion, et qui croient en l’altaquant combattre pour l’humanité, cessent donc de penser qu’elle est contraire au bonheur des hom- mes, de lui attribuer les malheurs causés par les secies et par les disputes des chrétiens, et de les imputer à la vigilance avec laquelle l’Eglise rejette et condamne tout ce qui al- tère la pureté de sa doctrine ou de son culte. Mais que ceux qui aiment la religion et i’Elat ne sc d ssimulcnt ni les abus que l’iii- lérét et les passions font de la religion, ni les malheurs qui ont suivi les hérésies et les ^chislDe!^. Quel pourrait être l’objet du zèle qui voudrait en «'iffaiblir le souvenir ou eu diminuer la grandeur?
Le principe du fanatisme est caché, pour ainsi dire , au fond du cœur de tous les lioin- ines, et rien ne le développpe aussi rapide- mcnl que les hérésies, les sectes et les dis- putes de religion ; elles seules peuvent le dé- velopper dans tous les cœurs, et toutes peu- vent donner au fanatisme une activité et une c instance capables de tout oser, de résister à tout, de tout sacrifier à l’intérêt de parti. Ces hérésies, si funestes à la religion et aux sociétés civiles, ont leur source dans des irn-
f perfections ou dans des passions attachées à a nature humaine; et chaque siècle ren- ferme en quelque sorte le germe de toutes les hérésies et de toutes les erreurs. L’effort que l’esprit humain fuilsans cesse pour étendre ses connaissances et pour augmenter son bon- heur, développe continuellcmenl ces germes et fait natire quelque erreur nouvelle, ou re- produit les anciennes sous mille formes diffé- rentes. Les cil constances dans lesquelles ces erreurs éclatent, et les caractères de leurs au- teurs ou de. leurs partisans, en rendent le pro- grès plus ou moins rapide, et les effets plus ou moins dangereux; mais il n’en est point qui ne soit nuisible, et toutes peuvent avoir des suites funestes , parce que toutes naissent du fanatisme, ou peuvent le produire. Quels maux n’ont pas causés, dans l’Orient et dans l’Occident, cette foule d'erreurs et de sectes qui se sont élevées depuis Arius jusqu’à Calvini
Lu fanatisme est un zèle ardent , mais aveugle ; il se forme et s’allume au sein de rigiiorance , s’éteint et s’anéantit à la pré- sence de la vérité. C’c.«t dans les siècles bar- bares et chez les peuples ignorants , que les chefs fanatiques sont redoutables. Dans une nation éclairée, ces chefs ne sont que
des malades qu’on plaint, ou des imposteurs qui ii’oxciteiit que l’indignation ou le mépris. Rien n’est donc plus iiUércssaiil que d’éclat- rer les hommes sur les erreurs qui attaquent la religion, et sur les iiioyeiis propres à pré- venir les effets de leur attachement à ces erreurs, et l’abns que l’on peut faire de leur confiance et de leur zèle : il faudrait , s’il était possible, faire passer ces connaissances dans tous les états, les rendre familières ou du moins faciles à acquérir à tout homme qui fait usage de sa raison.
Objet et plan de cet ouvrage.
^ous avons pensé qu’on pouvait remplir en partie cet objet dans des Mémoires qui feraient connaître les égarements de l’esprit humain par rapport à la religion chrétienne, l’origine des hérésies et des erreurs, les prin- cipes sur lesquels elles se sont appuyées , la marche qu’elles ont suivie, les ressources qu’elles ont employées depuis leur naissance jusqu’à nos jours ; qui nous apprendraient quels principes on leur a opposés, et par quelles raisons on les a combattues et con- damnées, les précautions qu'on a prises pour en arrêter le progrès ; pourquoi ces précau- tions ont réussi, ou comment elles sont de- venues inutiles et quelquefois fuiicsies.
Avec le secours de ces mémoires, on pour- rait distinguer sûrement l’amour de la vérité, de l’esprit de parti; le zèle pour la religion, de l’intérêt personnel; on ne confondrait point les opinions permises avec les erreurs condamnées, ni l’erreur involontaire avec l’hérésie; on connaîtrait rélenduo cl les bornes du zèle et de la fermeté que la religion commande, l’indulgence qu’elle inspire, la modération et la prudence qu’elle prescrit. Les chrétiens les plus savants et les plus vertueux y verraient qu’ils ont eu des pareils, et que leurs pareils se sont trompés ; le sa- voir serait moins orgneiileux et plus so- ciable, et la vertu ne serait ni hautaine, ni opiniâtre.
Avec ces connaissances et ces dispositions, combien d’hommes n’arrachcrait-on pas à l'erreur? combien n’en garantirait-on pas de la séduction ?combien ne préviendrait-on pas de troubles et de maux? >
On peut, dans ces mémoires, suivre l’ordre des temps comme dans une histoire, on faire de chaque hérésie l’objet d’un mémoire particulier qui renferme tont ce qui a rap- port à cette hérésie.
La première méthode offre un tableau plus étendu, plus intéressant pour la curiosité, el plus agréable à l’imagination; mais elle fait passer brusquement l’esprit d’un sujet à l’autre, l’y ramène vingt fois, et ne permet ni au lecteur de suivre une hérésie dans ses différents états, el d’en bien saisir le cara- ctère, ni à l’historien d’entrer dans l’examen et dans la discussion deses principes, comme on peut le faire dans la seconde méthode.
Pour remplir autant qu’il nous est possible ce double objet, et réunir les avantages de ces deux méthodes, nous exposerons dans un discours préliminaire les causes générales
ü tl^COUKS t^RELÜIINAtUE.
des hérésies et Tcspècc de chaîne qui les lie entr elles et avec le mouvement général de rcspril homain qui change conlinuellement les idées, les goûts et les mœurs des peuples. Tous les hommes participent à ces change- ments, parce que tous les esprits agissent et gravitent, pour ainsi dire, les uns vers les autres, comme les parties de la matière ; il n'j a point d’homme dont les idées et les mœurs ne soient produites ou modillées par les idées, par les goûts et par les mœurs de la nation dans laquelle il vit, des peuples qui l’environnent, du siècle, qui l’a précédé; et les égarements de l’esprit humain par rap- port à la religion chrétienne, sont liés aux révolutions des Etats, aux mélanges des peuples, à l’histoire générale de l’esprit hu- main par rapport à la religion et à la morale..
Nous avons donc, dans notre Discours pré- liminaire, remonté jusqu’à la religion pri- mitive des hommes ; nous avons recherché s*il y avait des peuples chez lesquels elle se fût conservée ou perfectionnée; enfin nous avons suivi l’esprit humain dans les change- ments qu’il a faits à celte religion, jusqu’à la naissance du christianisme.
Alors nous avons fait de chaque siècle une espèce d’époque ; nous avons exposé les idées, les mœurs, les goûts, les principes philosophiques de ce siècle, et nous avons (ait sortir de ces causes les hérésies, les schismes . et les sectesquioiit troublé l’Eglise pendantee siècle, et leurs effets par rapport aux Etats.
Après avoir exposé la naissance, la suc- cession, le mélange des erreurs et des sectes, et l’espèce de guerre qu’elles se sont faite en se chassant, pour ainsi dire, et se détrui- sant les unes les autres jusqu’à notre siècle, nons avons fait de chaque hérésie le sujet d’nti mémoire particulier, dans lequel le lec- teur peut saisir d’un coup d’œil i’élat de l’es- prit humain, par rapport à la religion chré-
. . RELIGION PRIMiliVE. 30
tienne, à la naissance de celle hérésie, et les causes qui l’ont «produite; en suivre le cours sans inteiTuplion ; observer scs effets par rapport à «la 'religion ou à la sociélé civile; la voir se répandre avec éclat, s’établir, s’é* teindre, 'renaître sous mille formes différentes ou donner naissance à d’autres erreurs qui la font ou'blier.
A cette histoire de l’hérésie, ou, si je puis parler ainsi, à cette histoire de la manœuvre des passions et des préjugés pour défendre un parti, une opinion, on a joint une expo- sition systématique des principes philoso- phiques et théologiques de chaque erreur, depuis sa naissance jusqu’à nos jours; on u examiné les principes, et Ton a fait voir leur fausseté.
Ou n’a point négligé de faire connaître les auteurs qui ont cooibaltu ces erreurs avec le plus de succès, et lesquestions de critique ou théologiques- qui sont nées, pour ainsi dire, à la suite des disputes et des combats des théologiens qui attaquaient ou qui dé- fendaient la vérité, et qui sont, j’ose le dire, comme des pierres d’attente, sur lesquelles l’erreur appuyera un jour quelque système.
Comme chacun de cas mémoires forme une espèce de tout que l’on peut lire séparément, nous les avons disposés non selon* l’ordre des temps, qui devenait inutile après noire Histoire générale des hérésies, mais selon l’ordre alphabétique qui rend l’usage de ces, mémoires plus commode.
Ainsi la première partie de c<*t ouvrage contient une histoire suivie des principes généraux et des causes générales des égare- ments de l’esprit humain, par rapport à la religion en général, et par rapport a la reli- gion chrétienne en particulier; la seconde renferme une histoire détaillée des causes et des effets do ces erreurs, avec l’expositioa et lu réfutation de leurs principes.
DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
TEMPS ANTÉRIEURS A J.-C.
CHAPITRE PREMIER.
De la religion primitive des hommes.
Si l’on excepte quelques sauvages, il n’y a point d'hommes sans religion. Les peuples les plus anciens, les Chaldéens, les Egyptiens, les Celtes, les Germains, les Gaulois étaient encore barbares, et chacun avait sa religion aussi différente de celle des autres que ses ir.œi'fs et le climat qu’il habitait. Malgré ces différences, ils conservaient des dogmes com- muns; tous croyaient qu’un principe spiri- toei avait tiré le monde du chaos, et qu’il anim.itl toute la nature; tous croyaient que le Dieu céleste s’était uni avec la terre, et c’était pour cela qu’ils honoraient la terre comme la mère des dieux (1).
Aristote fait remonter cette croyance jus- qu’aux premiers habUantsde la terre, et re-. garde toute la mythologie comme la corrup- tion de ces dogmes. «La plus profonde anti- quité, dit'il, a laissé aux siècles à venir, sous Penveloppe des fables, la croyance qu’il y a des dieux, et que la divinité embrasse toute la nature ; on y a ajouté ensuite le reste de ce que la Fable nous apprend, pour en persuader le peuple, afin de le rendre plus obéissant aux lois, et pour le bien de l’Etat. C’est ainsi que l’on dit que les dieux ressemblent aux hommes ou à quelques animaux et autres choses semblables ; si l’on en sépare les seules choses que l’on disait au commencement^ savoir, que les dieux oui élé les premières natures de toutes, on ne dira rien qui ne soit digne de la Divinité. Il y a de l’apparence que les sciences ayant été plusieurs fois por«
(t) Toyci Homère, Hésiode, Ovide, Hérodote, Strabon, César, Tacita, etc.
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DICTlONi^AIRË DES HERESIES. — DISCOURS PKCLIMIMAIRE.
duos, CCS Si ntiments sc sont conservés jus- iiu*à présent comme les restes de la doctrine des anciens hommes; ce n’est qu’ainsi que nous pouvons distinguer les opinions de nos pères, et les opinions de ceux qui ont été tes premiers sur la lerre (1).»
Les témoignages les plus incontestables atieslent donc que le théisme est la religion primitive des hommes, et que le polythéisme en est la corruption
En effet si le théisme n’est pas la religion primitive des hommes, il faut qu’ils se soient élevés du polythéisme à la croyance d'un esprit infini qui a tiré le monde du chaos. Voyons s’il est possible que les peuples chez lesquels nous avons trouvé le dogme d’une intelligence suprême qui a tiré le monde du chaos, s’y soient élevés en partant d'une ignorance grossière, et en passant par tous les degrés du polythéisme, comme le prétend M. Hume; pour cet effet, supposons-les placés sur la terre avec les seules facultés que l’homme apporte en naissant.
Le besoin et la curiosité sont les puissances motrices de l’esprit humain; il recherche les causes et la nature des phénomènes qui rin- lércssent par le spectacle qu’ils offrciil, ou par leur rapport avec sa conservation et son bonheur. L’homme sortant des mains do la natare, et livré pour ainsi dire aux seules facultés qu’elle lui accorde, n’a pour guide dans cette recherche, que ses sens, l’imagina- tion, son expérience et l’analogie. Son ex- périence et ses sens lui font voir tous les phénomènes comme des objets isolés ou
Sroduits par. des causes différentes, et chacun e ces phénomènes comme uii amas de diffé- rentes parties de matière qu’une force mo- trice unit ou sépare. L’expérience et les sens de l’homme lui auraient encore appris qu’il produit du mouvement, qu’il agite son bras quand il le veut, et comme il le veut, qu’il peut donner aux différents corps qui l’envi- ronnent, tous les mouvements et toutes les formes qu’il vcai, les réunir, les séparer et les mélanger à son gré. L’analogie l’aurait donc conduit à supposer dans la nature une infinité d’esprits qui produisaient les phéno- mènes, l’imaginalion en aurait crée pour tout, en aurait placé partout et expliqué tout par leur moyen, comme on le voit chez les peuples sauvages que l’on a découverts de- puis Christophu Colomb.
L’imagination qui s’accommode si bien des génies, 86 refuse au contraire à l’idée du chaos, et les sens la combattent. L’esprit hu- main, dans l’état où nous le supposons, n’aurait donc pu arriver à la connaissance d’un chaos antérieur à la formation du inonde, qu’après avoir reconnu la fausseté des génies auxquels il aurait d'abord attribué les phéDomèiies de la nature. Pour renoncer au système des génies, si agréable et si inté- ressant pour l’imagination et pour la fai- blesse humaine, il fallait avoir reconnu que tout s’opère mécimiquemem dans les phéiio- piènes; ce qui suppose nécessairement dans
(I) Ansl. Mitapli 1. Xlf, c. 8.
li
le genre humain, tel que nous Pavons sup- posé, une longue suite d’observations liées et comparées entre elles, une physique, des arls.
Pour arriver à la croyance du chaos, après avoir reconnu la fausseté du système des gé- nies, il fallait former le projet de remonter d l’origine du monde, avoir suivi les produo lions de la nature dans tous leurs états, les avoir vu naître d’un principe commun , y rentrer et s’y coulondro de nouveau. Les observations qui auraient fait juger que dans le globe terrestre tout avait d’abord été c(»nfondu',ne pouvaient persuader que le ciel n’avait été primitivement qu’un chaos af- freux.
Aucun des phénomènes observés sur la terre no suppose que la lumière des corps célestes a été confondue avec les parties ter- restres. Les orages, les tempêtes, les volcans qui bouleversent l’atmosphère et qui ébran- lent la (erre , ne portent aucune atteinte au soleil et aux astres; leur arrangement est immuable, leurs révolutions sont constantes, leur figure est inaltérable: du moins voilà comme les hommes , dans l’état où nous les supposons, auraient vu le ciel. Ainsi l’obser- vation, loin de persuader que les corps cé- lestes avaient été confondus dans l’ablmo d’où la terre était sortie, auraient au con- traire porté les hommes à supposer que le ciel et les astres avaient toujours été tels qu’ils les auraient vus. L’esprit humain n’aurait donc pu supposer que le ciel avait été d’abord un chaos informe , que parce qu’il aurait découvert qu’il n’existait point nécessairement, qu’il avait commencé, et que la matière qui le composait n’avait point par elle-même la puissance motrice et l’inlelUgence nécessaire pour former les astres cl y mettre l’ordre et l’harmonie qui y régnent; que la matière avait reçu son mouvement et sa forme d’un principe distin- gué d’elle et immatériel, qui avait formé le monde entier cl donné des lois à la nature.
Ainsi pour que les premiers hommes, dans l’état où nous les avons supposés, se fussent élevés par voie de raisonneinentà la croyance d’un cinos universel et antérieur au monde, il fallait non-seulement qu’ils fussent sortis de la barbarie, qu’ils eussent des arls et des sciences, il fallait encore qu’ils fassent arri- vés Jusqu’à l’idée d’un esprit distingué de la matière, et maître absolu de la nature. Ces hommes ne se seraient donc élevés au théisme que sur les débris et sur roxtinclion du polythéisme , sur une connaissance su- blime de la nature, sur les principes d’une métaphysique qui aurait dissipé toutes les il- lusions des sens, détroit tous les préjugés de riiiiagination, corrigé tous les écarts de la raison sur le polythéisme et sur les causes des phénomènes.
Ce serait donc une absurdité de supposer que (les nations. soient restées barbares, sans arts, et livrées à l’idolâtrie la plus choquante, et que cependant elles ont formé le projet de remonter à l’origine du monde, qu’eltcv
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JK TLMPS ANTERIEURS A JESUS-CHRIST. — RELIGION PRlMITIVr:.
ont découvert qu*il est Touvrage d’une in- telligence infinie 9 immatérielle y et que les causes des phénomènes de la nature sont liées. Quand une nation ignorante etgrossière pourrait former le projet de découvrir Tori- gine du monde, pourrait on supposer que toutes ont formé ce projet d ins le même temps, comme rela était pourtant nécessaire pour arriver à la croyance du chaos? Quanti elles auraient pu former ce projet, pourquoi parmi ces nations si diiïércnles dans leurs goûts , dans leurs mœurs, dans leurs itiées , lie s’en serait-il trouvé aucune qui eût pensé que tout a toujours été tel qu’il est , comme rignoraiice porte à le croire, et comme plu- sieurs philosophes l’ont pensé?Coinmenl sc- raient-ils tous arrivés à la croyance d'une Ame universelle et la productrice du monde, do chaos antérieur à la formation de tous les êtres que nous voyons?
Des peuples qui cultivent leur esprit peu- vent s’élever à des principes généraux, arri- ver à des vérités communes, parce que res< prit qui s’éclaire, agrandit scs idées , cl que les idées qui conduisent à la vérité so;it communes é tous les hommes: mais il est impossible que des peuples différents , plon- gés dans rignorance et qui ne cultivent point leur esprit, soient arrivés à un pria- eipegénéra1,croyeiit uniformément un dogme sublime, parce que l’ignorance tend essen- lielicmenl à resserrer les idées, à décompo- ser pour ainsi dire tous les principes gene- raux, pour en faire des idées particulières, et non à réunir les idées particulières pour en faire des principes génériiux, ce qui était pourtant nécessaire pour s’élever par la voie du raisonnement et par le spixtacle seul de* la nature, de l’ignorance absolue et du poly- théisme le plus grossier au dogme du chaos et de l’âme universelle: il fandrait nécessai- rement direque cette uniformité de croyance dans des peuples si différents est l'ouvrage do hasard, ce qui est absurde. H y a entre le dogme d'iine intelligence infinie qui a pro- duit le monde, qui l'anime , qui le conserve, et l’ignorance dans laquelle les monuments historiques nous reprcscnlent ces nations, one distance que lespril humain ne peut franchir d’un saut: il faut donc qu’elles aient reçu ce dogme; et il y a dans les ma- nières de vivre de CCS nations, dans leurs positions, dans leurs idées, tant de différen- ces, qu’il est impossible qu’elles aient ima- giné ou conservé ce dogme uniformément, si elles ne sortent pas d’iinc seule famille , et si le dogme d une intelligence suprême qui a formé le monde n’a pas entré dans l’ins- truction paternelle.
La croyance du chaos qui a précédé le monde, celle d’une âme universelle qui a tiré tous les êtres du chaos, et qui anime toute la nature, ont donc leur source dans une tradition commune à tous ces peuples , et antérieure à leur polythéisme.
Hais d’où vient cette tradition? N’cst-il pas possible que, comme le porte le passage d'Aristote, les sciences se soient perdues plusiturs fois, que les hommes aient été d’a-
bord dans un état de sauvages , qu’üs se soient élevés par tous les degrés du poly- théisme jusqu’à la croyance d’une âme uni- verselle qui avait iiré le monde du chaos, et même jusqu’au liiéismc? N’est-ii pas possi- ble que lorsque le genre humain est arrivéâ ces connaissances , une révolotion subite dans le glul)C terrestre ait fait périr fous les hommes excepté le petit nombre de familles qui croyaient ces dogmes, qui peut-être même croyaient i’cxislcnce de Dieu, mais que le besoin et le changement de leur état a fait tomber dans la barbarie cl dans le po- lythéisme ; et qui n’unt conservé que U croyance du chaos et de l’âme univcrscl'c ?
Je réponds en premier lieu, qu’en accor- dant la possibilité de cetto supposition , comme elle est destituée de preuves, per- sonne ne peut l’assurer et en faire le fonde- ment d’une histoire, et dire qu’une opinion qui porte sur cette supposition est uii senti- ment démontré, une vérité attestée par rO- rient et VOccident. Aristote dit bien qu’il y a de l’apparence que les sciences ayant été perdues plusieurs fois, ces sentiments so sont conservés comme des restes de la doc- trine des premiers hommes, ce qui suppose que ce philosophe regardait le ihéismo comme la doctrine des premiers hommes et comme leur religion primitive; il dit même expressément que le polythéisme est une ad- dition f/iite â la doctrine des premiers hom- mes.
Je réponds en second lieu, qu’on ne peut supposer que les an< êtres de ces peuples so soient élevés jusqu’à la croyance de l’âme universelle et du chaos. Quoiqu’il soit bor.<i do doute que l’esprit humnin peut s’élever par la voie du raisonnement à la croyance d’une intelligence qui a formé le monde, quoiqu’il ne puisse arriver à la croyance du chaos sans reconnaître rexistcnce de cette intelligence, cependant cotte connaissance ne suflisaitpas pourconcevoir quelemonde avait d’abord été un chaos affreux et uniforine : car nous avons fait voir que rien dans la na- ture ne conduit à croire le chaos , et que la raison qui voit la nécessité d’une intelligence (oule-puissanlepour la production du monde, voit aussi qu’il n’était point néccssairequ’clle le tirât d'un chaos préexistant, et qu’il y a une infiuilé de manières différentes de le produire. £t quand le hasard aurait pu con- duire à ce sentiment quelques philosophes, quelque société, il était impossible qu’il y conduisit toutes les nations, il était impos- sible que toutes le conservassent.
Ces philosophes, réunis sar la jiécessité d’une intelligence suprême pour la produc- tion du monde, se seraient divisés en une in- finité de partis différents sur la manière d’ex- pliquer comment clic l’avail produit ;commo nous avons vu les philosophes tous réunia sur rélernilédu monde, faire une infinité de systèmes pour expliquer la formation des êtres qu’il renferme. Ainsi dans aucune sup- position, les hommes n’ont pu s’élever du polythéisme à la croyance d’un esprit qui a tiré le monde du chaos. C’csl donc l’inleilp-
» DiCTlONNAme DF.S IlEnESIES. — DISCOURS PRELIMlNAmE.
gence créatrice cllc-méme qui sVsl manifes* téc aux hommes, et qui leur a fait connaitre, par uue voie diiïérctilo du raisonnemcnl < qu*clle avait tiré le monde du chaos : lé théisme est donc la religion primHivo des hommes; et la croyance du chaos cl de l’âme universelle que l’on trouve dans ranliquité la plus reculée, el la corruption du théisme, est une preuve que le Ihéisme a été la reli- gion primitive du genre humain.
Ce que la raison, appuyée sur les monu- ments les plus incontestables, nous fait con- naître de la religion primitive des hommes, Moïse nous l’apprend comme historien. Moïse, le pins ancicMi des écrivains , ensei- gne qu’une intelligence toulc puissanle a créé le monde et tout ce qu’il renferme ; que cet Etre suprême éclaira l’homme, lui donna des lois et lui proposa des peines ou des ré- compenses : il nous apprend que rhomme viola les lois qui lui avaient été prescrites, sa punition qui s’étendit à tout le genre hu- main, les désordres de scs enfants, le châti- ment de leurs désordres par un déiugo qui ensevelit la terre sous les eaux, cl Gl périr ses habitanls, excepté Noé et sa famille. Moïse nous apprend <|uc la famille de Noé connaissait le vrai Dieu, mais que s’étant multipliée et divisée, clic avait formé diffé- rentes nations chez lesquelles la connais- sance du vrai Dieu s’était altérée cl môme éteinte, excepté chez les Juifs. En comparant ce que Moïse nous enseigne sur l'origine du monde avec la croyance du chaos et du dogme de l’âme universelle , il parait que Moïse n’a point emprunté son histoire des nations chez lesquelles nous avons trouvé la croyance du chaos et de l’âme universelle, et qne la raison ne s’était élevée nulle part à ces idées du temps de Moïse ; la Genè c contient donc la tradition primitive, ou G lô- lement conservée, ou renouvelée d’une ma- nière extraordinaire.
Il n’est pas moins certain que les nations chez lesquelles nous avons trouvé le dogme de rârnc univrrselle , ne devaient point cette croyance à Moïse, cl qu’elles haïssaient les Juifs. Tons les monuments de l’antiquité s’accordent d’ailleurs avec l’histoire de Moïse: toutes les annales des peuples re- montent à l'époque de la dispersion des hom- mes assignée par Moïse , et s’y arrêtent comme do concert. Les plus savants criti- ques ont reconnu et prouvé la conrormité de l’histoire de Moïse avec les monuments de l’antiquité la plus reculée (1). L’histoire de Moïse a donc, indépendamment de la révéla- tion, le plus haut degré de certitude dont l’histoire soit susceptible , sans que l’on puisse l’affaiblir par les obscurités qui se rencontrent dans q^uelques détails.
Gomment donc M. Hume a-t-il pensé qu’en remontant au delà de dix-sépt cents ans on trouve tout le genre humain idolâtre, et nulle ' trace d’une religion pins parfaite ? Comment a-t-il pu avancer que son sentiment était
(1) VoyîX Bochnrl dans son Phaleg. Grol. de Uelig. avec .l‘*s iiole-s de Lrclcrr, le O^mineni. de Leclerc sur lu Ge- Jaqueiol «te VEjcint. lie DieUr dis^url. I, c.
une vérité atlrslée par l’Orient e( rôccidenl ?
« Mais, dît M. Hume, autant que nous pou- vons suivre icGl de rhistoiro, nous trouvons le genre humain livré au polythéisme, et pourrions-nous croire que, dms des temps plus reculés, avant la découverte des arts et des sciences, les principes du polythéisme eus- sent prévalu ? Ce serait dire que les hommes découvrirent la vérité pendant qu'ils étaient ignorants el barbares, et qu’aussiiôt qu’ils commencèrent à s’instruire et à se polir, ils tombèrent dans l’erreur. Celte assertiun n'a pas l’ombre de vraisemblance, elle est con- traire à tout ce qne l’expérience nous fait connaître des principes el des opinions des peuples barbares Pour peu que l’on mé-
dite sur les progrès natun Is d<; nos con- naissances, ou sera persuadé que la mulii* tude ignorante devait se former d’abord des idées bien grossières et bien basses d'un pou* voir supérieur : comment veut-on qu’elle se soit élevée tout d'un coup à la notion do TElre tout parfait, qui a mis de l’ordre cl do la régularité dans toutes les parties de la nature ? Croira-t-oh que les hommes se soient représenté la Divinité comme on esprit pur , comme un être tout sage, tout- puissant, immense, avant de se le représen- ter comme un pouvoir borné, avec des pas- sions, des appétits, des organes même sem- blables aux nôtres ? J’aimerais autant croire que les palais ont été connus avant les chau- mières, el que la géométrie a précédé l’agri- culture. L’esprit ne s’élève que par degrés , il ne se forme d’idée du parfait qu’en faisant abstraction de ce qui ne l’est pas ... Si quel- que chose pouvait troubler cet ordre naturi I de nos pensées , ce devrait être un argument également clair el invincible qui transporte- rait immédiatement nos âmes dans les prin- cipes du théisme, et qui leur fit, pour ainsi dire, franchir d’un saut Je vaste intervalle qui est entre la nature humaine et la nature divine. Je ne nie point que par l’étude et l’examen, cet argument ne poisse être tiré de la structure de l’univers ; mais ce qui me parait inconcevable, c’est qu’il ait été à la portée des hommes grossiers, lorsqu’ils se Grent les premières idées d’une religion (2).»
Tous ces raisonnements de M. Hume prouvent tout au plus que le théisme ne s’est point établi parmi les hommes tout d’un coup ou par voie de raisonnement, supposé que le premier homme ail été créé tel que les hommes naissent aujourd'hui , el qne Dieu les ait abandonnés à leurs seules forces. Mais n'est-il pas possible que Dieu ail élevé le premier homme immédiatement à la con- naissance do son créateur 7 N'esA-il pas pos- sible que le premier homme ait été créé avec une facilité pour connaître la vérité, avec une sagacité capable de s’élever rapidemenl.[ et par .la seule contemplation deTunivers cm de iui-méme , à la connaissance de Dieu ?! Prélcndrbil-on que la nature ne puisse pasj produire des intelligences plus parfaites quel
les noies de Leclere sur Hésiode ; Twier.
('Sj Hume, Ref. de la ReU |*. 4, n,G.
n TEM?S ANTEKIëORS a JESUS-CIlfUST. — RELIGIOlN PRIM TIVE. XS
no^ Ames ? N'est-il pas possible que cc pre- mier homme ait perdu celte faciiité de con- natirc la vérité, et qu'elle ait été refusée à ses descendants 7 Dans celte supposition les hommes auraient reçu la connaissance do Dieu par voie d'instruction et par le moyen de l’éducation. Malgré Timperrection de leur esprit, ils rauraicnt conçu comme un étro sou veraincment parfait ; les premiers hommes n’auraienl point acquis l’idée de la Divinité, comme ils ont découvert les arts ou les théorèmes de géométrie.
S’il est vrai que l'homme ne poisse s'éle- ver au théisme que par le moyen du raison - nement, et en remontant de l'idée d’un être borné jiisqn’à l’idée d’un être infini, je de- mande que M. Hume me dise comment, tan- dis que les nations les mieux poficées et les plus éclairées sont plongées dans l’idolâtrie, il se trouve sur la teri*e un peuple sans arls, sans sciences, séparé de tous les peuples, et chez ce peuple grossier la croyance d'uno iolelligmce suprême qui a créé le inonde par sa toute-puissance, et qui le gouverne par sa providence ? Comment se peut-il que les philosophes les plus éclairés, et qui ont le plus médité sur l’origine du monde d sur la Divinité , n’aient jamais rien enseigné d’aussi sublime et d’aussi simple sur l’Etre suprême, que la croyance do ce peuple igno- ' rant cl grossier, chez lequel, de l’aveu même de M. Hume, le polythéisme n’était point un dogme spéculatif acquis par des raisonne- ments tirés des meryeilies de la nature.
Pour prouver que l’homme n'avait pn s'é- lever an dogme de l’unité de Dieu que par la voie lento du raisonnenicut et par les différents degrés du polythéisme , il fallait prouver que l’homme avait, pour ainsi dire, été jeté sur la terre et abandonné à ses seu- les facultés, à ses besoins, à ses désirs, aux impressions des corps qui reiiviroiincnt. M. Hnrno n’a rien dit pour établir ce fait, sans lequel son sentiment sur la religion primitive des hommes n’est qu’une suppo- sition chimérique que nous avons détruite d’avance par tout ce que nous avons dit sur la religion primitive des hommes, mais que nous reprendrons un moment pour mieux faire sentir combien M. Hume s'est mépris sur la marche de l'esprit huinaiii.
Supposons l'homme formé par le hasard, ou jeté, pour ainsi dire , sur la terre par le Créateur, fl abandonné à ses seules facultés, telles que M. Hume suppose que nous les recevons de la nature: lâchons de décoqyrir, par le moyen de Thistoire et de l'analogie , par quelle suite d'idées cet homme eût pu s’élever à Ig coonaissancc d'une inleiligence suprême, el eu quel état l’esprit humain se serait trouvé, lorsqu'41 serait parvenu à la connaissance d'une inlelligence suprême. L'homme tel que nous le supposons, n'ayant pour maître que le besoin, eût été long- temps avant de réfléchir sur les causes des phénomènes : il ii'aurail d'abord recherché que les causes des maux qu'il aurait éprou-
(1) Voyage de Coréal, 1. 1, p. 251.
vés, et les aurait atlribués à des animniix semblables aux animaux qu'il aurait craints • c'est ainsi que les Moxes atliibiiaient leurs maladies et leurs calamités â on principe malfaisant qu’ils croyaient être un tigre invisible (1).
Les hommes se seraient multipliés et ne seraient sortis de cette ignorance qu’avec une prodigieuse lenteur ; et cc n’eût é;é qu’après bien du temps qu’ils auraieiU attri* hué aux âmes des hommes morts une partie de leurs maux ; ils auraient supposé dans les âmes de ces hommes morts tous les goûts, toutes les idées, toutes les passions des hommes vivants, et se seraient occupés â flatter ces goûts ou à satisfaire ces pas- sions. Ils auraient été fixés longtemps a ce culte, el peut-être jusqu’à ce qu’un hasard rare leur eût fait imaginer des puissances Invisibles et supérieures aux hommes, mais auxquelles ils auraient attribué les vues, les goûts, les faiblesses, les passions de l’huma* nité qu’ils auraient lâché de sc rendre favo- rables par tons les açies qu’ils auraient cru leur plaire, et ces actes auraient fait leur re- ligion.
Cependant les sociétés se seraient formées, les passions el la guerre so seraient allumées sur la terre, les hommes auraient ru plus à craindre de leurs ennoniis armés que des êtres invisibles, les forces de l’esprit so se- raient portées princii^alemcnt vers tes objets qui auraient pu rendre les sociétés plus tranquilles et plus heureuses, les arts et les sciences se seraient perfectionnés beaucoup plus que la mythologie, qui n'aurait été cul- tivée que par quelques ministres ignorants et intéressés à entretenir les hommes dans le culte des puissances chimériques qu'ils avaient imaginét s. C’est ainsi que les Grecs, qui avaient passé de l'état de sauvage â la vie policée, avaient des luis très-sages et une théologie lrè>-inscnsée : c’est ainsi que le sauvage , (rès-industrieux sur ce qui a rapport aux premiers besoins, est d’une stu- pidité inconcevable sur la religion. Noos trouvons tout le contraire chez les nations les plus anciennes : dans leur état primitif cilcs ont une théologie sublime, et ils sont ignorants, grossiers, sans arts: le genre hu- main n’a donc point été placé sur la terre dans l’état oùM. Hume le suppose.
M. Hume, pour expliquer comment ces hommes idolâtres ont pu, sans s'éclairer, s'élever au théisme, prétcud qu’ils ont pu paS'^er, à force d'eloges exagérés, de l’idée des puissances invisibles qu’ils adoraient, au théisme (2). Mais il est clair que ces pré- tendues exagérations n'auraient point con- duit rhomme de l’éiat ou nous le supposons, à l’idée d'uno âme universelle qui a formé le monde, mais à i’idée vague d’un génie plus puissant que tout cc que i’ou connaissait.
Dans les peuples idolâtres, le respect et les éloges ne croissent qu'à mesure qu’ils rap- portent plus d'événements â la môme cause i voilà la marche de l'esprit humain, cl le fou-
(2)Kumc,tm p. 47, 48,59.
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DTCTIONNAIRE DES HERESIES. - DISCOURS TREUMINAIRE.
ücment de la distinction des grandes el des petites divinités. Les hommes ne se seraient donc pas élevés à Tidée d’une âme univer- selle, à force d’oxngérer les éloges donnés eux génies , mais par une longue suite d’observations qui les auraient conduits à une seule et môme cause; et dans ce cas, ils ne seraient pas restés ensevelis dans* une ignorance stupide. D’ailleurs, ces éloges exagérés, par le moyen desquels M. Hume suppose que les idolâtres se sont élevés à l'idée d’un être suprême, ne peuvent se con- cilier avec l’état de l’esprit de ces peuples ; car ils supposaient leurs dieux rivaux, ja- loux el vindicatifs, et en louant un génie sans restriction, ils auraient craint d’offen- ser les autres : une pareille exagération n’a lieu que chez les nations policées, noos n’en trouvons aucun exemple chez les sauvages.
EnGn, on ne peut prouver que le théisme n’est pas la religion primitive des hommes, parce qu’ils n’auraient pu tomber dans le polythéisme : 1*" parce que le théisme des premiers hommes était une instrucllon et un dogme transmis par tradition, qui peut s’al- térer plus facilement que s’il eut été acquis par une longue suite de raisonnements ; 2^ parce qu’eu effet les Juifs, dont le théisme est incontestable, sont tombés dans l’idolâ- trie. Enfin, nous allons faire voir comment ce dogme a pu s’altérer et s’esl en effetalléré.
CHAPITRE II.
Jje VdUéraiion de la religion primitive.
Nous avons vu le genre humain ne com- poser d’abord qu’une famille qui connaissait el qui adorait ,une intelligence suprême , créatrice du monde. Celle famille cultivait la terre el nourrissait des troupeaux dans les plaines de l'Orient : c'est de là que tous les peuples sortent. La bonté du climat, la fécondité de la terre, l’activité, l’innocence el la frugalité des premiers hommes, accru- rent rapidement cette famille, elle fut obli- gée de s'étendre, et bientôt de se diviser.
Parmi les animaux qui habitent la terre, presque tous sont infiniment plus féconds 4]ue rhomine ; ainsi les animaux pâturants, frugivores ou carnassiers, enveloppèrent en quelque sorte le genre humain, et occu- paient une grande partie de la terre, lorsque la multiplication des hommes les obligea de s'éloigner de leurs premières habitations, et
(1)1. es devins qui consultaient les entrantes se nom- ina ii ut acusplces; ceux qui loiidaient leurs prédictions *tiir4e vol et sur le chant des oiseaux, se nomiuaienl aii- 4^ures.
Les anispices êtaicDt ainsi appelés, ab ans inspicien- <ii8. Ils cherchaient la volunié des dieux dans les entrailles <1«{S auitiiaox, dans le cœur, te ventre, le f<ûe, le poumon : c’était uii isrésage l'unesle quand la viciiuiu avait un double 4'utü et point de cœur.
Les augures liraient leurs prédictions du vol on du vfhaoi des oiseanx, et ces prédii iions s’appelaieot auspices, ee mot dériva des roots latius av/s et conspic:o.
Quand les prédictions éiaieni fondées sur le chant, on tes nommait OMeines, quand elles se liraient de leur vol, •on les nommait perpitee. L'augure moniaii sur quelque . iiauteur, se tournait vers rOrienl et aiteiidait le vol des •oiseaux dans celle situation. Les augures jugraieni encore •de l'avenir par lo degré d'appétit des poulets; lorsqu’on
iO
de se partager en différents corps. Ces co- lonies déterminées dans leur marche par le cours des fleuves, parles chaînes des mon- tagnes, par les lacs, par les marais, rencon- trèrent successivement des contrées ferliles, des déserts stériles, des cantons où 1 air et les productions de la terre étaient nuisibles, où leurs troupeaux périssaient. Elles trou- vaient peu d'animaux dans ces contrées, ou ces animaux étaient maigres et malsains. Les animaux au contraire étaient très-nom- breux et très-robustes dans les contrées fer- tiles, et dont les pâturages, les fruits et les grains étaient bons el salutaires. Les hom- mes, dispersés sur la (erre, prirent les ani- maux pour guides et pour maîtres, iis sui- virent dans leur route le vol des oiseaux, ils jugèrent que les grains qu’ils mangeaient avidement étaient bienfaisants, ils observè- rent dans les entrailles des animaux pâtu- rants ou frugivores,, les qualités des piantes et des fruits, el se fixèrent dans les lieux où toutes ces indications semblaient leur pro- mettre un séjour heureux. Telle est vrai- semblablement l'origine des prédictions ti- rées du vol des oiseaux, de leur manière de manger, cl de l’inspection de leurs entrail- les : espèce de divination simple et naturelle dans son origine, dont la superstition et l’in- térét firent une cérémonie religieuse desti- née à découvrir les décrets du destin {1)^
Ainsi, partout où les nouvelles colonies sorties des plaines de l'Orient s’établirent, elles trouvèrent des animaux frugivores, pâturants ou carnassiers, sur lesquels il fallut, pour ainsi dire, conquérir |es campa- gnes fertiles, et qui dévastèrenl les moissons ou ravagèrent leurs troupeaux ; on fit donc la guerre aux animaux, et chaque famille eut ses chasseurs pour défendre les trou- peaux et garder les moissons. Ces chasseurs devinrent les protecteurs des familles, leurs chefs et enfin leurs maîtres. Dans les siècles que les chronologistes appellent les temps héroïques, les hommes les plus considéra- bles et les plus respectés étaient les hommes les plus forts, les chasseurs les plus habiles, les destructeurs des animaux dangereux.
L’exercice continuel do la chasse dispose à la dureté et même à la férocité : les chas- seurs devinrent audacieux, entreprenants , inhumains ; les liens qui unissaient les hom- mes avant leur division se relâchèrent, les familles qui habitaient des cantons différents
faisait sortir les |)ouiels de leur csgc, ou leur jelait de la DO^riture ; s'ils maiigeaiem sans luarquer-beaucoui) rfavi- ditcei qu'ils laissassent tomber une partie de la iiuiirriture, et surtout s'ils refusaient de manger, l'augure élaii fu- neste; mais s’ils saisissaient avidemeui la nourriture, et sans en laisser rien tomber : c’était le présage le (ilus heureux.
Aiusi, les anciens liraient encore des présages de plu- sieurs animaux, tels que le loup, le renard, les lièvres, les beiètes, etc. : ces animaux carnaciers ne se trouvent que dans les lieux abondaols en gibier; ainsi on pouvait conclure que le pays était boa b habiter. Ce qui nous reste sur ces divinations, me parait confirmer ma conjecture sor l'origine de ces pratiques oui était aiisolumeni inconnue aux anciens, comme on le voit par Cicéron de Divin. lib. 1 et II, par Origène contre Celse : ce philosophe parait supposer une espèce de commerce entre les dieux el les oiseaux. *
TEMPS ANTEÜIEURS A JESUS Cil UIST. — UELICION PiUMlTiYE.
SC regarilèrcnl comme des sociétés élrangè- tes. C<^s familles ne s’étalent éloignées les unes des autres qu’aulant que le besoin les avait obligées d’occuper plus d’espace, cl lorsque leur muiliplicalion les força d’élen<* dre leurs possessions, elles se touchèrent bientôt, se pressèrent et se disputèrent la terre, comme elles l’avaient disputée aux animaux ; et dans chaque famille on fat occupé à défendre scs moissons, ses Irou^ pe{)ux et sa vie contre les hommes cl contre les animaux.
La guerre fui donc continuelle et pres- que générale à la renaissance du genre hu- main ; et comme les familles ennemies avaient des forces à peu près égales, la guerre fut vive, opiniâtre et cruelle. Rien ne fut plus intéressant pour ces sociétés dispersées que de savoir attaquer ou repousser rennemi., L’habjieté des guerrier#, leur force, leur In- trépidité furent l’objet do la conversation et le sujet principal de rinstruction ; ils obtin- rent toute raltention : on racoiilait leurs exploits, on les vantait; ils se gravaient dans la mémoire, ils échauffaient toutes les ima- ginations, comme cela se pratique encore aujourd’hui chez les sauvagesT
Dans cet état d’enthousiasme guerrier et dans l’enfance de la raison, le dogme de la création et de la providence, le souvenir de l’originedes hommes et des causes qui avaient attiré sur la terre la vengeance do l’Ëlro suprême, la connaissance de ses attributs et celle des devoirs dcriiomme n’inlércssaient que faiblement. On vit moins di.Ntiiutcmcat combien ces connaissances étaient néces- saires au bonheur des hommes, et la mort enleva dans les sociétés tes patriarches qui louchaieut à la grande époque de la renais- sance du genre humain, et qui étaient péné- trés de ces grandes vérités; elles ne lurent plus enseignées avec raulorité et la persua- sion propres à faire sur les esprits des im- pressions profondes ; elles irimprimèrcnt plus dans la mémoire que des traces superfi- cielle#, que le temps, l’agilalion, le désordre cl la passion de la guerre effacèrent. Toul cc qui ne pouvait être aperçu que par Tes- prît, tout ce qui supposail quelque examen, quelque discussion, se perdit insensible- ment, cl s’enfonça dans l’oubli, chez des peuples où la mémoire était seule déposi- taire de ces vérités. De toutes celles que les patriarches avaient enseignées , rien ne subsista que ce qui faisait sur l’imagination une impression forte cl profonde : le dogme de la création dut donc disparaître chez ces peuples, et l’iinaginalion ne dut conserver que le souvenir du chaos d’où le monde était sorti, de l’intelligence qui l’en avait tiré, du déluge qui avait enseveli la terre, parce qu’elle pouvait se représenter tous ces objets, et qu’ils offraient un spectacle frap- pant cl une puissance redoutable.
Ainsi ces dogmes durent se conserver et «se cunservèrent en effet d’abord assez uni- formémenl dans toutes les nations ; mais il
if eut des peuples chez lesquels les guerres, es calamités et les temps éteignirent ces
Dictionnaire des Hérésibs. I.
restes de lumière, et qui ne conservèrent aucunes traces de la religion primitive.
Voyons quelle religion Tesprit humain, éleva sur les débris de la religion des pre- miers hommes, et quelle fut celle des nations qui n’en conservèrent rien.
5 1. DtM différeniA systèmes religteox que Pesprîl huiiu>in élevs sur itis débris de la religiou primitive.
^ Il n’était pas possible que toutes les na- tions ennemies se fissent toujours la guerre avec des avantages également partagés, et restassent dans respèce d’équilibre où elles élaienl d’abord. Il y eut des nations victo- rieuses qui choisirent les campagnes les plus fertiles et qui reslèrenl en paix,eldes nations vaincues, que leur faiblesse et leurs défaites ' obligèrent à céder leurs possessions, et à chercher des élablissements dans des con- trées éloignées et hors des atteintes des na- tions plus puissantes ; la guerre cessa sur la terre.
Dans celle nouvelle dispersion des hom- mes, les familles se trouvèrent placées dans des élimats différents. Les unes rencontrè- rent des pâturages, les autres furent condui- tes dans des forêts : celles-ci dans des terres fécondes en fruits et en légumes , celles-là dans des plaines ou dans des montagnps se- mées de cantons fertiles, de sables, de ro- chers ou d'étangs ; tous les peuples furent donc pasteurs ou cultivateurs, et se fixèrent dans les pays où le sort les avait conduits, ou forent nomades. 11 n’y a point de climat, point de contrée où la terre soit toujours et egalement fertile : les influences du ciel no sont pas constamment bieufaîsantcs ; par- tout la (erre a des années stériles ; partout l’atmosphère a ses orages, scs tempêtes, scs vents qui désolent les campagnes, répan- dent la contagion et portent la mort. Ainsi au sein de la paix, toutes les nations éprou- vèrent des malheurs capables de lesanéantir, et cherchèrent les moyens de s’en garantir.
Ces nations savaient qu’une intelligence toute-pulssanlcavait tiré le monde du chaos,* qu’elle avait formé tous les astres, produii tous les corps, enseveli la (erre sous les eaux. Elles jugèrent que cette intelligence était la cause des phénomènes redoutables qui pouvaient faire périr les hommes ; qu’elle formait les orages, les (empéles, fai- sait souffler les vents salutaires ou dange- reux, rendait la terre stérile ou féconde, en un mot, qu’elle produisait tontdans le cid et sur la terre, et qu’elle mouvait seule et à son gré toutes les parties de la nature: ou conçut donc que celte intelligence était unie à toutes les parties de la matière à peu près comme Tâme humaine l’est à son corp.s, puisqu’elle agissait sur la matière comme l’âme humaine agit sur son corps.
Ainsi, malgré rigûoraoce et la grossièreté de ces nations, avant qu’elles eussent des arts et des sciences elles s’élevèrent rapide- ment au dogme d'une âme universelle qui produisait tout le monde. Cette âme univer- selle était une puissance immense dans la- quelle l'homme était comme englouti, qui
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pouvait l'anéantir, ni qui copendant l'avait formé, le laissait exister, renvironnait de biens et de maux, donnait la vie et la mort.
Le premier effet du dogme de l'Ame uni- verselle fut dans rhomme un sentiment re- ligieux de respect , dé crainte et d’amour püur^clle puissance; et le second, un cfftirl général dans toutes les nations pour con- naître comment et pourquoi TAme univer- selle produisait les biens et les maux. Avant la naissance des arts et des sciences , les Chaldéens , les Perses, les Indiens , les Egyptiens, les CcUcs , etc., avaient des so- ciétés ou des collèges d’hommes destinés à ëUidijer la nature de l'esprit gui animait lo inonde, et àrechcrdhcr comment et pourquoi il s'unit à la matière, quel est l’ordre des phé- nomènes et leur liaison, quels signes les iinnoncont. Ce fut dans l’observation même de la nature que les philosophes cherchèrent la solution de ces grandes questions: chaque peuple éleva sur la face que lui offrait la nature un système de théologie.
Les Chaldéens placés dans un climat où réclat do soleil n'est jamais obscurci, où la nuit est toujourséclairée par la lumière bril- lante des étoiles cl de la lune, crurent que la nature 'était animée par le moyen de la lumière, et que l’Ame universelle se servait de cet élément pour pénétrer tout : c’était donc par le moyen de la lumière du soleil et des astres qvte l'Esprit universel produisait iout; et les Chaldéens adressèrent leurs hom- /inagcs au Dieu suprême dans les astres où il semblait établir particulièrement sa rési- dence. Comme ces astrés formaient des corps séparés, l’imagination sc les repré- senta cojnme des être distingués qui avaient des fonctions particulières et des influences différentes dans la production des phéno- mènes; l'idée de l’Ame universelle trop abstraite pour le peuple et combattue par rimagination et par les sens se dissipa, ci l’on adora les astres comme autant de puis- sances qui gouvernaient le monde.
On conçoit sans peine comment de cette pre- ^mière alleration dans la religion primitive les Chaldéens passèrent à un polythéisme plus grossier (1). La théologie des Clial- déens passa chez les Perses vraiscmblable- ^nenl avant qu'elle eût élé déflgurée par l'ido- JAtrie, et Les Perses honorèrent Dieu oul’Ame iiniverscUe dans le soleil et dans les astres. Les chaleurs des provinces méridionales de la Perse sont Incroyables; la cire d’Espagne fond quelquefois par la seule chaleur do l’atmosphère , et les habitants n'ont alors d'autre ressource que de se retirer dans quelque endroit caché et de s'y arroser li’cau (2). Des vents rafraîchissants soufflent pendant la nuit; la chaleur disparaît avec le soleil et fenatl avec lui. Ainsi, en Perso les philosophes ou les observateurs regar- dèrent la lumière du soleil comme un feu qui pénétrait tous les corps, qui pouvait en
(1) Eoseb. Prœp- Ev. 1. n, c. 10 : Philo, de Migratione mundi; Seldeo,deIUis Syriis, |ji*u4eg. c. 5; Sisnley, Hist. Pjbil. Ctiaiü. psrt. xin, seci. 2, c. 1 et 2, c. 5'J; Ûrulu;r, lifisl. Pliil. t. f, 1. Il, c. 2.
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décomposer toutes les parties, les réunir et les durcir, qui développait les germes des fruits et des grains, qui faisait vivre et mou- rir les animaux : ils conclurent de là que cet élément avait en lui même tout ce qui était nécessaire pour produire les phénomènes ; il fut chez le< Perses l'Ame universelle et l'objet de leur culte.
A mesure qu’ils observèrent l'influence des différents éléments dans la production des phénomènes, ils supposèrent dans ces élé- ments une portion de l'Ame universelle, et lui rendirent un culte. Il y avait parmi les mages des curateurs des éléments qui avaient soin des eaux, des fleuves et des fon- taines, et qui empêchaient, autant qu’il était possible, que l’air ne fût iiifcclé do quoique mauvaise odeur, que le feu ne fût souillé de quelque ordure et la terre de quelque corps mort. Comme Tétai de ces éléments n’élait pas toujours uniforme , on supposa dans ces éléments des vues, des intentions, des motifsL, et on leur offrait des sacrifie s pour les intéresser au bonheur des hommes : lo culte des éléments se forma sur les pro- priétés que Ton y découvrit. Le feu, par exemple, qui consumait toutes les matières combustibles fut regardé comme un élément avide de ces matières , comme une espèce d’animal qui .s’en nourrissait : on crut lui plaire en allumarît du bois, parce qii'oii lui donnait de Talimeiil; souvent même les rois et les personnes riches jetaient dans le feu des perles, (les bijoux,des parfums précieux^ et Ton appelait ces sacriflees les Àsslins du feu. La foudre était un feu qui çonsumaU quelquefois les arbres, les maisons, qui tuait lesanimaux et qui tombait plus souvent sur les montagnes que dans les plaines. On crut donc que les montagnes étaient plus agréa- bles ou plus à la portée de cel clément, et oa lui offrit des sacriflees sur les lieux élevés ; clcomme la foudre en tombant tuait les ani- maux sans les consumer, on supposa que le feu se nourrissait aussi des Aines des hommes eide celles des animaux, et Ton im- mola au feu des animaux et des hommes; ce fut A peu près sur ces mêmes idées qu'ils réglèrent le culte des autres éléments (3;«
Tandis que tes Perses croyaient voir dans le feu élémentaire le principe productif des êtres, peut-être d’aoires élaienl-ils restés at- tachés à la croyance d’une intelligence toule* puissante qui avait créé le monde, et dont le feu n’élait que le symbole; peut-être les Parsis ont-ils reçu et conservé cette docirino jusqu’à nous? Cette immobilité de l'esprit humain chez les Pars^is n’csl peut-élre pas absolument impossible, mais elle est assez difficile pour n'ôlrc pas admise sur des conjfclures et sur des présomptions, et je ne sache pas qu'elle ail été suffisamment prou- vée.Toulc Tantiquité s’accorde A reconnaître qu’il a élé un temps où les Perses adoraient le feu et le soleil. M. Uyde, le plus célèbre
(2) Chardin, t. III, p. 7 ; Tarera. 1. 1, 1. iv, c. 2, p. tl I ; 1. V, c. 25; LHtiron, t. li, |i. 322.
(3) Voyez HérvMiuie, Clio, c. A, Si; Slrab. l. xv ; Vos* sius, loc. ciu
DICTIONNAIRE DES HERESIES. — UISCOUUS PRELIMINAIRE.
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défenseur des Parais, n*oppose à ces (émoi* gnages aucune raison décisive, U ne les com- bat que par la croyance des Parsis. Mais pourquoi les Parsis n*auraienl-ils pas re* ittonté du culte du feu au dogme de Texis* tencede Dieu, depuis que la religion chré- tienne avait fait connaître Tabsiirdiié de Tidolâtrie? N'a-t-on pas vu les stoïciens, pour justifier le polythéisme, soutenir que Jupiter, Gérés, Neptune, etc., n’étaient que les diiTérents attributs de Tesprit universel ? Et quand il serait vrai que le colle du vrai Dieu s’est conservé chez les Parsis, il n’en serait pas moins vrai qu’il s’est altéré ei perdu chez beaucoup de Perses (1)«
La nature offre dans l'Inde un autre spec* tâcle. Les anciens comprenaient sous ce nom «TArabte, la presqu’île de TInde, et presque tons les pays situés sous la zone torride ; cette vaste élendnc de pays est arrosée par un nombre infini de fleuves et de rivières qui se débordent régulièrement tous les ans, et eommoniquent à la terre une Iccondité sur- prenante. Les inondations des fleuves et la fertilité qui les suit filèrent Tattenlion des observateurs indiens : ils les regardèrent comme Touvrage do l’Ame universelle qui SC portait particulièrement dans IVaa , en pénétrait toute la masse, la gonflait et s’insinuait par elle dans les plantes; ils ju* gèrent que Teau était Télément dont elle se servait pour communiquer la vie; les fleuves furent les temples uù elle résidait par choix et d’où elle ne sortait que pour le bonheur des hommes; les inondations des fleuves furent des faveurs que la reconnaissance célébra : les Indiens honorèrent Teau* et les fleuves. Ces fleuves n’avaient pas la même source, ils baignaient des contrées différen- tes, ils formaient une infinité do détours, et les parrouraient avec des vitesses inégales; les indiens crurent que des puissances diffé- rentes avaient creusé les lits des fleuves et taisaient couler leurs eaux plus ou moins rapidement; Tâme universelle leur parut partagée en plusieurs parties qui gouver* naieiil la nature sur des plans et pour des objets différents ; iis honorèrent ces puis- sances daïis les fleuves où ils supposèrent qu’elles résidaient ; leurs inondations fu- rent des faveurs que Tintérét s’efforça do mériter, et que la reconnaissance célébra. Lorsque ces inondations furent trop fortes ou trop faibles, ils crurent les divinités des fleuves irritées et lâchèrent de les apaiser par des vœux, par des fêtes, par des dé* vouements de toute espèce , dont le détail serait trop long pour cet ouvrage.
L’Inde est une presqu’île, cl la terre n’est en aucun lieu plus fertile; les Indiens joui* rent d’une abondance et d’une tranquillité qui les multiplia prodigieusement; ils furent obligés de cultiver la terre, et comme sa fé«
coiiuiiè dépendait de Tcau, on creusa des
»
' (1) Voyez les Commentateurs sur Macrob. Satiirnal. 1. c. 17; Bi':iubiiis, I. iv Select, sjcr ; Yoss. de Idol. I. ii, part. Il, c. 51 ; liiiâsonüe Keg Pn f. |iri;icl|>alu; Spoiid., Miscel. p. 87; I'AmI exptij , l. Il, |>art. ii, b. 5, p. 575, c. 0; Acad, des luscrip. i. X.\V, Traité de la Rcl. des Perses^
iO
canaux pour conduire Teau dans les (erres où les inondations ne la portaient pas. Ces canaux creusés pour faire couler dans les campagnes Teau des fleuves, offraient aux Indiens une ressource simple et sûre contre les inondations excessives ou trop faibles^ que les sacrifices n’empêchaient pas ; ils aperçurent facilement que de vastes canaux creusés à certaine profondeur pourraient absorber la quantité nuisible des inonda* lions, ou suppléer aux eaux que les fleuves refnseraient. Les Indiens découvrirent donc, Tart de conduire les eaux et de dessécher les terres, tandis que les autres nations étaient emcore bien éloignées dépenser aux arts, aux sciences, à la physique (2}. Avec ces avan- tages, les Indiens furent bicntùt trop nom- breux pour vivre dans leurs anciennes pos* sessions : ils s’étendirent à droite et à gauche, et durent se porter naturellement vers la Chine et vers l’Egypte, où peut être ils por- tèrent Tari de dessécher les terres et de con- duire les eaux, la croyance de TAmc univer- selle, celle des divinités qu’elle avait for- mées, et les cérémonies religieuses.
Comme la Chine ne doit point sa fertilité aux débordements réguliers des fleuves, Teau cessa d’y paraître l’élément où TAme univer- selle résidait, et les Indiens transportés à la Chine regardèrent TAme universelle comme uii esprit répandu dans toute la ualure; c’est le tien ou le ly-
Dans TËgypte où les inondations da Nil fécondaient la terre, on conserva le culte de Teau, que Ton regarda comme Télément que TAme universelle avait choisi pour donner la vie au corps; ou si les Egyptiens ne rc* çurent point celte croyance des Indiens, ils y arrivèrent par la mé.uo suite d'idéeS qui y conduisit les Indiens, parce qu’ils avaient des phénomènes semblables sous les yeux. Les plantes, les légumes, les fruits dont TE* gypte abondait, et qui étaient produits par i’eau du Nil, contenaient des portions de celle Ame qui semblait les former pour se rendre sensible aux hommes, pour leur manifester sa présence par ses bienfaits; et la recon* naissance honora lame universelle ou la Divinité dans les plantes, comme dans un temple où elle semblait inviter les honimea à lui rendre hommage. L’inlérét et la fai- blesse associèrent bientôt a ce culte tous Ica éléments qui concouraient à la production des fruits. Telle fut la religion que les préires égyptiens élevèrent sur les restes de la re- ligion primitive.
L’esprit humain ne s’élève A des prin- cipes généraux que par Teffort qu’il fait
[»our agrandir ses idées, cl par Thnbitudc do icr les phénomènes et de les rapporter à uno même cause. Aussitôt qu’il cesse de lier lea phénomènes par le moyen du raisonnement et de Tubservation, il croit tous les pliénu- mènes séparés, et les attribue chacun à ouq
par M. rabl)é Foucher.
(S) Sirab. 1. xt; Plat, io Alex.; Arrlea, Expedii, d*Àlex., 1. vu; Piiito»ir., Vila Appollon. ; Porpli.,de Abs^i lib XIV ; PaUzd.; Clcui., Sirom. 1. 1; La Croie, Cbr. Uea Indes.
TEMPS ANTERIEURS A JESUS-CIlRlST. -* RELIGION PRIMITIVE.
il DICTIONNArUE DES lIEftESIES. — DISCOURS PRELIMINAIRE. 43
cause dilTcrcTite; ainsi le penple donl Tes- pril ne s'éclairait pas, et que les prêtres n'instruîsaicnl point, perdit insensiblement de vue le dogme de l’âme tiniverscllc, et rendit un culte aux plantes, aux animaux liliies, aux éléments. Les prêtres égyptiens furent apparemment assez longtemps de bonne foi dans cos idées : ils découvrirent que rame universelle suivait des lois inva- riables, ils s’en serviront pour prédire Ta- veiiir, retinrent le peuple dans la superstition et dans l’ignorance; et la religion devint entre leurs mains un ressort que la politique employa pour mouvoir ou arrêter les peuples.
Le dogme de l’âme universelle ne se con« serva pas même dans tous les collèges d*Ë- gyple, parce que tous ne voyaient pas la nature sous la même face. Dans la haute Egypte par exemplo, où Ton voyait, après les débordcmenis du Nil, sortir du limon pourri cl desséché des insectes cl des rep- tiles t)n crut que les animaux cl les plantes étaient formés par le dégagement dès par- ties aqueuses, terrestres et aériennes, et qu’il lie fallait point faire intervenir l’âme universelle dans la formation des corps (1). C’^st peut-être ainsi qu’il faut concilier ce qu’Ëusèbc et Diogène Laërce nous appren- nent de la théologie secrète des Egyptiens, qui n’admettaient point le concours de la Divinité danr la formation do monde, avec les témoignages de Porphyre, de Jambliquo et d’Ëusèbc même, qui assurent que les Egyptiens attribuaient la formation du monde â on architecte intelligent (2).
Les Celles , les Gaulois , les Germains croyaient comme tous les peuples dont nous venons de parler, qu’un Esprit InGni et tout- puissant animait loutc la nature, forniail tous les corps, produisait tous les phéno- mènes : ils curent leurs philosophes et leurs prôtres., destinés à observer les lois des phé- nomènes, les causes qui délcrmincnt PElrc suprême à les produire, et les moyens d’em- pêcher qu’il ne produisit ces phénomènes terribles qui faisaient le malheur des hom- mes. Placés sous un ciel cl dans un climat rigoureux, enfoncés dans l’épaisseur des fo- rêts, ou errant perpétuellement entre des lacs, des montagnes, des fleuves, des marais, ils ne suivirent point les productions de la nature en physiciens, et ne cherchèrent dans fous les objets qu’elle offrait, que la fin que l’Esprit universel se proposait et qu’ils imaginèrent, toujours d’après leurs propres idées, leurs goûts cl leurs besoins.. Us iio virent donc duos les phénomènes, que des corps ou des mouvements produits par l’u- nion de l’esprit universel avec la matière, et jugèrent que celle union avait un plaisir pour fin ou un besoin pour principe.
Les druides et les bardes tâchèrent de dé- couvrir les besoins et les plaisirs de l’âme
(1) Diod. Sic. 1. .
(2) Euseb. Præp. Ev. 1. ii, c. 17, p, 115; Cudworl, Syst. huel. simplic. in Arisl. Phyitc. 1. vui, p. 268; Pial., de IsiU. cl Üsif'i'Jc.
(3) liist. de Marseille; Ucl g. des Gaulois; CoUocl. des Visl. de Fruuce; Bil)lioib. GtTuian. t. XXXV li, aa, 1737,
universelle, cl prescrivirent un culte et des .«sacrifices propres à les satisfaire. I!s croyaient l’âmo universelle répandue dans toute la na- ture; ils jugèrent qu’elle aimait â s’unir à la matière, et qu’elle se plaisait particulière- ment dans les grands amas de matières so- lides qui S{‘mblaionl destinés à attirer l’al- tenlion des hommes et les inviter à y rendre leurs hommages â l’esprit universel qui n’a-' vail formé ces grands amas qu’en s’y réu- nissant lui même d’une manière particulière : c’est en grande partie l’origine du culte que -ces peuples m>da4eni aux grandes pierres, aux grands arbres, aux vastes forêts.
La vie pastorale de ces peuples leur rendit nécessaire le voisinage des sources, des ri- vières et des fleuves : ils jugèrent que l’es- prit universel les faisait couler pour le bon- heur des hommes et de tous les animaux ; iU honorèrent i’àme universelle ou l’Eire su-« prême dans les rivières, dans les fleuves. Le cours des fleuves n’était pas uniforme; quel- quefois ils sortaient de leur lit, inondaient les terres : on s’aperçut que les fleuves en se débordant entraînaient tout ce qui se ren- contrait dans leur cours; ils se resserraient ensuite dans leur lit : on crut qu’ils ii’cn sortaient que pour s’emparer des fruits, des cabanes , des meubles , des hommes , des femmes, etc. Les Celtes crurent que pour prévenir les inondations, il fallait faire aux fleuves des offrandes de toute espèce. Les gouffres que ces peuples errants rencon- traient, semblaient creusés par l’esprit uni- versel pour engloutir les hommes et les anmaux, et ils y en précipitaient toutes les fois qu’ils en rencontraient. Lrs plantes dans lesquelles ils croyaient découvrir quelquo vertu utile leur paraissaient destinées à mériter le respect, l’amour et la reconnais- sance d( s hommes.
Ce qui nous reste des monuments sur la religion primitive des Gaulois et des Celtes, sur leurs sacrifices, sur leurs divinations, sont des suiles des principes que nous leur avons altribués, mais ces détails n’appar* tiennent point à l’ouvrage que nous donnons actuellement (3).
Les monpments qui nous restent sur Iq théologie des Arabes avant Mahomet, des Phénic ens, des Toscans, nous offrent les mêmes principes , les mêmes erreurs , la même marche (A).
§ II. De rexünclion de b religion prlmilive. chez plusieurs peuples, ol de celle qu'ils imaginèrent.
Lorsque les hommes curent attribué la production des phénomènes à des esprits par- ticuliers, le dogme de i'âmc universelle de- vint une espèce du mystère renfermé dans les collèges des prêtres, ou un dogme spécnlatif qui ne parut plus avoir d’influence sur le bonheur des hommes : ii s’éteignit dans l’es-
•
p. iiO ; Peloiuier, Hist. des Celtes.
(4) Voyez Specimen Hisl. Arab. et les notes de Pocok; Senec. quœsi. nat. 1. ii, c. 41 ; Suidas in voce Thyrren. , Plutarq. in Sylla; Euseb. Prep. £\ang. 1. 1, c.9; Xheodo rei, de Curandis Græc. affect., serin. 12.
prit da peuple, qui ne vit plus dans la na- ture que des dieux, des génies, des esprits auxquels il adressa ses Tœux et offrit des sacriGces, parce qu’il attendait d’eux seuls son bonheur.
La multiplication continuelle des hommes dans CCS nations , rimpossibililé de subsister dans leurs anciennes possessions, les guerres civiles, les querelles particulières des ra- milles, en détachèrent de pelitrs colonies qui se dispersèrent sur la terre. Parmi ces colo- nies , il y eu eut qui n’emmenèrent point do collèges de prétree, ou auxquels la mort les enleva; beaucoup de ces colonies ne conser- vèrent que la religion pratique , les sacriG- ces , les cérémonies religieuses : le dogme de l’âme universelle s’y éteignit absolument.
Le cours des rivières et des fleuves, les- lacs, les montagnes, les déserts arides diri- gèrent la marche de ces colonies fugitives : la guerre qui s’éleva entre elles , les querel- les particulières, ia difflculté des chemins , mille accidents pareils détachèrent de ces colonies des ramilles ou des bandes particu- lières , et quelquefois même un homme ei une femme que la crainte des hommes ou des bêtes féroces conduisit et retint dans les lieux les plus inaccessibles aux animaux fé- roces et aux hommes, tandis que d’autres, conduits par le hasard dans des pays fertiles,, vécurent en sûreté et s’y multiplièrent. Les ommes, que la crainte avait séparés du reste du genre humain et conduits dans dos déserts, dans des marais, ou dans des retrai- tes inaccessibles , s’occupèrent uniquement du soin de se nourrir; toutes les idées acqui- ses dans la société s’effacèrent de l’esprit de ces hommes solitaires, et leurs enfants tom- bèrent dans Tabrutissement et dans l’igno- rance absolue de TÊlre suprême. Tels étaient les icblhyophages qui n’a valent pas même con- servé l’usage de la parole, qui vivaient en sociéléaveole veau marin, et quel^on croyait habiter ces retraites de toute éternité; tes hommes qui vivaient dans les marais, cl qui n’osaient en sertir, parce que les bêles féroces étaient en embuscade sur les bords de ces marais ; tels étaient les Uylogones qui s’é- taient réfugiés au haut des arbres , et qui vivaient des rameaux naissants , les Troglo- dytes, les Garamantes, et une inflnitéd’auircs sauvages brutes ou stupides, dont Hérodote, Biodore de Sicile, Strabon et les anciens voya- geurs font mention.
Les hommes que la erainte et lo hasard conduisirent dans des contrées sûres et fer- tiles s’y multiplièrent, et la croyance de rÊlrc suprême cl de l’âme universelle s’y obscurcit, s’y altéra en une infinité de ma- nières, et s’éteignit absolument dans ceux, que ia crainte des animaux féroces ou des hommes, et la difffcullé de se nourrir occu- pèrent sans cesse : telles étaient ces penpln- des d’hommes chasseurs répandus sur les montagnes de la Colchide, dans l’Illyrie, les Besscs, les Arcadicus, les Désarles, les Hi- bériens, etc. (1).
(1) su'3b. I. jji ei iixL
50
Les guerres cruelles que ers nations se faisaient, l’habitude de vivre de la chasse, les répandit en une infinité de contrées. Ges nations sauvages ne conservèrent aucune trace do leur origine, et voilà pourquoi les colonies des nations policées trouvaient par- tout des hommes qui se croyaient sortis do la terre. Les hommes de ces nations sauva-* ges*, réunis par la crainte des animaux car- nassiers et des hommes aussi cruels que les bétes féroces, virent dans chacun de leurs associés uo protecteur qu’ils aimèrent; iis regardèrent sa mort comme un malheur qui attaquait leur existence et leur bonheur. La mort fut dans ces sociétés sauvages le pre- mier objet sur lequel l’esprit réfléchit, et dont il rechercha la cause:
Ges hommes ne connaissaient point d’au- tre cause sensible de la mort que la haine des hommes ou la fureur des bêles féroces ; presque toujours la mort était annoncée par des douleurs intérieures semblables A celles que causaient les animaux ou les blessures faites par les hommes : on regarda la mort comme l’ouvrage de quelque animal invisi- ble, qui était ennemi des hommes, et que l’on imagina revêtu d’un corps semblable aux animaux qui attaquaient les hommes : c’est ainsi que les Moxes croient qu’un tigre invi- sible cause tous les maux qui les arfllgent (2).
On ne concevait ces animaux malfaisants que comme des animaux invisibles : on ne supposa pas qu’ils eussent d’autres motifs de faire du mai aux hommes que !o besoin do nourriture, et l’un crut arrêter leur mali- gnité en apaisant leur faim : les hommes partagèrent donc vraisemblablement leurs aliments avec les êtres malfaisants et invisi- bles, comme plusieurs nations sauvages lo pratiquent encore. Les offrandes n’arrêtèrent ni le (Cours des maux, ni les coups de la mort; on cessa d^impulcr aux êtres invisibles qu’on avait imaginés les maladies et la mort des hommes; cl ne pouvant en découvrir la cause dans des êtres krangers , on (a chercha dans l’homme même.
La mort ne laissait aucune trace de son action; on ne voyait point de changement dans la configuration extérieure du corps humain , aucune des parties n’était détruite, toutes étaient seulement privées de mouve- ment : on conclut que lo corps humain no contenait pas csseutiellemenl le principe de son mouvement, et qu’il le recevait de quel- que élre qui s’en séparait à la mort. Le corps privé de mouvement ne laissait apercevoir iii scniimcnl, ni pensée; le principe du mou- vement fut do4ic aussi le principe du senti- ment cl de la pensée. G’csl ainsi que, dans ces nations sauvages, le spectacle de la mort éleva l’esprit humain à des êtres invisibles , actifs, intelligents et sensibles, qui donnaient au corps humain le mouvement cl la vio, mais qui n’en étaient pas inséparables, et qui, unis au corps pour satisfaire ses be- soins, le quitlaicnt parce que quelque dé- rangement inconnu et caché ne leur per^
(î) Voyage de Coréal, u IL
TEMPS ANTERIEURS A JESUS-CHRIST. — RELIGION PRIMITIVE.
81 DICTIOI^NAmE DES HERESIES
mcUait plus de snlisfatre ces besoins, et les obligeait d'en sortir. On jugea que les esprits ne sortaient qu'à regret de leurs corps, qu’ils ne s’en éloignaient pas beaucoup, a(in de pouvoir satisfaire les besoins dont leur sé- paration ne les affranchissait point.
Mais enCn le temps • qui détruisait les rorps, ôtait aux esprits toute espérance d'y rentrer : alors ils erraient dans l’air tour« inentés par la faim et par la soif. Ces esprits ne perdaient point leur activité , cl les na- lions sauvages dont nous parlons ignoraient les causes qui mettent l'air en mouvement. On crut que les agitationi de l’air n’étaient que des prières que ces esprits faisaient aux vivants pour en obtenir dos aliments , et comme ces esprits avec leurs besoins et leur activité conservaient leurs passions, on ne douta point qu’ils ne sc vengeassent de l'in- sensibiiilé des hommes par dos tourbillons , par des tempêtes excitées dans l’air qui était soumis à leur pouvoir. Ces peuples virent donc dans les àmes des morts non seulement •les malheureux que riiumanilé portait à accourir, mais encore des puissances redou- tables qu’il était dangereux de ne pas satis- faire : on prépara donc et l’on uffrait des aliments' aux morts.
Des animaux qui mangèrent les offrandes firent croire qu'en effet les morts sc nour- rissaient, et lorsqu’on s’aperçut qu’ils ne mangeaient point les aliments qu’on leur préparait, on supposa qu'ils n’en mangeaient que les parlics les plus subtiles, ou les par- ties les plus spirilueuscs, les seules qui fus- sent proportionnées aux organes des esprits.
Ainsi la vapeur du sang qui coulait d'un animal qu’on tuait parut un aliment propre pour l’esprit , et l’on fft des sacrifices pour nourrir les morts et pour les apaiser : tout ce qui était spiritueux et les odeurs les plus agréables furent employés pour le même objet.
Comme les corps par eux-mémes étaient sans mouvement, les différences qu’on ob- servait dans les forces des hommes ne pou- vaient venir que de l'iiiégalilé des esprits qui les animaient, ci l'on reconnut dans les esprits séparés des corps différents degrés de puissance ; les hommes qui avaient été les plus forts étaient aussi les esprits les plus puissants : ils formaient les orages ou calmaient le ciel. On ne douta point que les rois et les héros, qui étaient les hommes les plus forts , ne fussent les maîtres des vents et de la pluie. Les rois et les héros morts furent donc le principal objet de Taltention des hommes : non seulement on leur offrit des sacriCces pour les nourrir, maison tâcha «le flatter les goûts qu*ils avaient eus pen- dant leur vie, et que l'on ne doutait pas iju'tls ne conservassent après leur mort. Ce désir de flatter les goûts. toujours subsistants des héros morts , produisit dans le culte des divinités toutes les bixarrerics possibles. La mort d’un roi, d’un héros débauché, ou d’une
(i) HéJud., Theogon., v. 215; Opera et dies, v. 120; Leticrc, Coiiimuiil. sur ces ouvrages; Vossius, de Idol.
. - DISCOURS PRELIMINAIRE. »
reine puissante et voluptueuse, flt naître tous les cultes obscènes que l’histoire an- cienne nous offre.
Le culte des héros fit oublier les autres morts, ou l’on crut qu’après leur mort, comme pendant leur vie , ils étaient subor- donnés aux génies des héros. Comme les héros avaient élè des conquérants célèbres ou des capitaines habiles, et que la mort ne leur ôtait ni leurs lumières, ni leurv inclina- tions, on crut avoir, dans les esprits «les hé<- ros , des protecteurs qui pouvaient diriger les entreprises que l’on méditait; et l’on ne douta point qu’ils ne pussent faire connaître aux hommes leurs pensées et leurs volontés par des inspirations intérieures , par des apparitions ou par des sons formés dans l’air : ces effets n’étaient point au-dessus de leurs forces , et ces peuples eurent des oracles (1).
. Les colonies qui se détachèrent des gran- des nations, et qui passèrent dans le» pays habilés par les peuples dont nous venons- do décrire la religion, les trouvèrent disposés à recevoir la doctrine des génies auxquels ils attribuaient le gouvernement du monde ; leurs religions se confondirent, et la croyance des génies fut généralement établie sur la terre ; on en plaça dans le soleil,, dans les astres, et l’on Imagina que l’enipice de La terre était partagé entre ces puissances. Ce n^était pas seulement de ces divinités quedé- pendait le bonheur des hommes : le succès des colreprises, la santé, les richesses, n’é- taient pas toujours le fruit de la raison ou l’apanago du mérite et de la prudence ; souvent les entreprises les mieux concer- tées échouaient, tandis que d’autres^ réus- sissaient contre toute apparence ; quel- quefois.le succès ou le Qiajheor d’uiic en- treprise avait été causé ou accompagné par quelque circonstance remarquable, ou crut que des causes inconnues aux hom- mes, c’cst-à'dirc, des génies inconnus, con- duisaient le fil des événcmenis et dirigeaient les hommes au bonheur ou au malheur par des signes qu’ils leur donnaient en mille manières différentes, et auxquels il fallait par conséquent dire prodigieusement attentif: telle fut chez ces nations l’origine des présages des génies amis ou ennemis des hommes, des fées bien ou malfaisantes. On supposa le monde rempli de ces génies : tous les événements, tous les mouvements,, un bruit, un vase renversé fut un présago donné par quelque génie; on peupla Tat- inosphère do ces génies, qu’on honora, et que l’on crut pouvoir s’attacher en leur ren- dant un culte.
Un culte rendu à un génie, en général, n’en eût flatté aucun, et n'en aurait par con- séqueiu intéressé aucun en particulier; il fallait d’ailleurs à l’iinaginatiori un objet déterminé, et à l’homme un génie qu’il pût instruire commodément de ses besoins : un proposa donc aoK génies de se rendre dans
Tous l«*a voyageurs nous font voir dans les peuples nouvel- lemeot découveris la même suite d'Kléca.
5^ TEMPS ANTEIUEUnS A USCS CllRIsr. P:;iLOSOPIiIE« 2U
un Ircn o4 Vm »*engag«aU par nne espèce de vœa à lui rendre un culte. Dans les na- tions pauvres et grossières, et avant la scul- pture, on se contenia de distinguer la rési- dence des génies par quelque marque parti r cuiière. Un arbre ou un tronc coupé furent à Thesnis et à Samos les idoles de Junon : de simples pierres sans ciueunc figure particu- lière éiaieiit les idoles de TAinour à The^^pis,
< et d*Herciile à H}èle; telles sont encore les t idoli*s de> féiicties chez les A fric >ins (1).
( La faculié de fix«'r ainsi les génies produi- sit des génies tnlébiircs. et les génies des* lieux dont toute riiisloireest pleine ; les cé- -rémonies que le^ anciens appelaient cvoca-- lions ne permettent pas d*en douter. Lors- que quelque lieu avaitrété consacré, et qu’on roulait le séculariser , on conjurait avec beaucoup dt; sobsnnité’les génies de so re- tirer, et lorsqu’on* était sur le poinrde pren- dre une ville, pour ne point commettre le sa- crilège de faire les dieux lulélaires prison- niers, un les priait de sortir cl de passer dans le parti \ictorieux, où Ton assurait qu’ils seraient pins respectés et mieux servis.
Les Rnin.iins élaieni tellement persuadés de la puissance des dieux tutélaires eide la vertu de révocation, qu*ils caeliaient avec tin soin (Xirénie tes noms de leurs dieux tu- télaires : ils croyaient que par la force de la consécration, les génies ou les dieux lo- geaient dans les statues (2).
Comme on ne concevait point de bornes dans la multitude dos génies, la faiblesse et Finiérét en curent pour tous les besoins et contre tons les malheurs : non-sculernent ehaque nation invoqua toutes les espèces de génies propres à procurer le bonheur de la nation; mais dans chaque nation, chaque condition , et dans toutes les conditions, chaque famille eut scs génies particuliers. Les maisons, les champs eurent aussi leurs génies : le pieux £néc ne manquait jamais de faire un sacrifice au génie du lieu.
Comme l’esprit humain ii’énvisagenit Ica phéi’Oniènes que dans leurs rapports avec son bonheur, il crut tons les génies occupés à le ser\ir ou à lui nuire; il leur attribua toutes les ineHnalions qu*il avait, il les crut déterminés par K*s motifs qui le détermi- naient, il les crut su reessiv ement altérés dé sang ou avides de gloire, IT leur offrit des S'icrificcs ou des louang<‘S et des prières, il leur bâtit dos temples, établit des prê- tres, institua des fêles; et comme c'était de ce culte que les hommes atlcndaient leur bonheur , l’cspril humain épuisa foules les manières possibles de plaire à ces gé- nies.
Telle était rbrîgînc , tel fut le progrès do l’idolâtrie qui ava;l infecté toutes les nations: te peuple n’avait point d’autre religion. Les folonirs détachées des grandes nations com- muniqiièront aux peuples, chez lesquets elles s’étab. irent, les restes de la tradition qu’elles
(t) Cicm. Alex., Prclrep. c. 3; Terl. Apol. c. 18; Paa- ssn., Boeiie. I. iz, c. ti, 17 ; Méiii. de PAcad. des Inscrip. t. IXIII; Afrique de Daper; Voyages de Labar.
lijTilc Livc, !. v,v.21,îl V “
avaient conservés sur l’origine du monde, sur le déluge, sur le destin de l’homme après la mort. Cette tradition , déjà obscurcie dans ces colonies , s’allia avec les idées et la croyance des peuples chez lesquels elle fut portée , et c’est de là que vient ce mélange d’idées élevées cl de croyances absurdcs-qu’oii trouve chez les anciens poëies . hisloriens , philosophes , sur la nature de Dieu et sur les divinités païi’iines , sur l'origine du monde , sur les puissances qui le gouvernent , sur rbomme, sur l’autre vie (3).
CHAPITRE 111.
De V origine dé là philosoplrie^ et des change^
menti qu'elle causa dons la religion que les
préires avaient formée sur les débris de la
religion primitive.
Nous avons va tous les hommes atlribnor les pl»énomànes de la nature à des génies ; les prêtres seuls les regardaient comme des portions de l’âine universelle, et cherchaient, par l’observation de la nature, à découvrir les goûls , les inclinations de ces portions do ràiiie universelle, et prescrivaient les sacri- fices, les prières , les offrandes , les dévoue- ments qu'ils jugèrent propres à calmer la colère des génies ou à mériter leurs faveurs. Ce ne fut donc que dans les collèges dos prêtres que l'espnt humain rechercha, par l'étude des phénomènes, les goûts, les incli- nations, les désirs, les desseins des génies ou des portions de l’àme universelle.
Rien n’était plus intéressant que de salts- falre à propos ces désirs, ces besoins : c’é- lalt le moyen le plus sûr de prévenir les efft ts de la colère des génies ; mais pour les sallsfaire à propos il fallait les prévoir. Les prêtres portèrent donc leur altonlion sur tout ce qui pouvait annoncer les besoins, les désirs ou les inclinations des génies qui gouvernaient la nature; ils examinèrent avec soin tentes les crreonslances qui les acconv- pagaaioni;- ils virent que ces phénomènes avaient des retours réglés, et qu’ils élaieat ordifiaireincnl accompagnés des mêmes cir- constances; ils jugèrent que tout était lié dans la nature et'qu'on pouvait prévoir les phénomènes*: les prêtres réglèrent sur celle prévision les fêles, les sacrifices. Us con- nureul hientêt l'inufililê des sacriAces; ils jugèrent que les phénomènes avaient unis cause commune, ci que celle cause suivait des lois inviolables ; tous les génies dispa- rurent aux yeux des prêtres , cl iis ne virent plus dans le.s phénomènes qu’une longue chaîne d'événements qui s'amenaient cl se produisaient successivement.
L'esprit humain n’alla pas plus loin chez les peuples guerriers ou pasteurs, dont la vie était trop agitée et le cl ioâal trop* rigou- reux pour raire des observations suivies, et qui, menant une vie errante, n’avaient be- soin que de prévoir les phénomènes dange-
(3) Voyez Hé.slndo et les n'ilesde Leclerc, lïomèrp, Hé- rodote, Diodore, Vos.siU5,ile Idoî.; Vandale, de Idol.; Exi.l.Ck. de la Fable d* Adonis; BiW. univ. c. 3, p. 7.
55
DICTIONNAIRE DES HERESIES. — DISCOURS PAELlMiNÂlRE. 51
rcux pour les éviter. Tels furenl les Celtes, les Gaalois, les Germains.
La prévision des phénomènes ne soffisait pas aux peuples qui ayaient des établisse- ments fixes et qui cultivaient la terre, ils recherchèrent à connaître celte suite de cau- ses qui formaient la chaîne des événements pour tâcher de découvrir des ressources contre les malheurs. Les collèges des prêtres devinrent donc des assemblées de philo- sophes qui cherchèrent comment et par quel ^ niccanisme tout s’opérait dans la nature. Comme ils avaient cru que tout était lié dans la nature, ils rapportèrent tous les phénu- mènes à un seul principe; ils cherchèrent comment il avait (oui produit.
L’esprit humain s’éleva donc jusqu’à la 'recherche des lois scion lesquelles le monde avait été produit, et il entreprit d'expliquer l’origine du monde; il fit des systèmes dans lesquels chacun supposait un principe et le faisait agir conformement à scs idées et auK phénomènes qu’il avait sous les yeux : telle est l’origine des systèmes des Ghaldéens, des Perses, xles Indiens, des Egyptiens. Ces sy- stèmes, renfermés longtemps dans les col<- léges des prêtres , passèrent dans les écoles des Grecs, chez lesquels l’esprit systématique enfanta une infiniié d’opinions différentes , que les conquêtes d’Alexandre reportèrent en Orient, dans la Perse, en Egypte , dans rinde.
Ces principes se communiquèrent aux Juifs et aux. Samaritains avant la naissance du christianisme, il se trouva partout des hom- mes cnléiés de ces principes, qui les unirent avec quelques-uns des dogmes des Juifs , et ensuite avec ceux du christianisme; et c’est de cette union que sont venues presque tou- tes les hérésies des trois premiers siècles.
S I. Des prineipes reKgieui des philosophes chsldéens.
Nous avons vu que les prêtres chaldéens regardaient la lumière comme rélément par le moyen duquel l’ânic universelle avait pro- duit le monde ; iis croyaient qu’elle avait formé de cet élément les astres qui étaient .desamas de lumière séparés, avaient chacun une acüoo particulière qui semblait se diri- ger uniquement vers la terre. Puisque la lumière était la seule force motrice de la na<- Cure , et que chacun des astres avait une action particnlière , il fallait bien que les phénomènes fussent, pour ainsi dire, le ré- sultat dos inOuences particulières des astres qui étaient sur l’horizon ; cl les philosophes ; iialdéens crurent trouver dans leur disposi- tion la cause des phénomènes, et dans la con- naissance de leurs mouvements les moyens de prévoiries phénomènes. Ces rues, et peut- être les chaleurs excessives et les vents pe- siitents qu’on éprouve dans ces contrées pendant certains mois, et dont on ne peut se garantir qu’en se retirant sur les montagnes,
' 430nduisirent lesChaldécns sur les montagnes qui bordent le pays qu’ils habitaient; élevés sur ces observatoires que la nature semblait avoir formés exprès, ils étudièrent la dispo- sition des astres et leurs mouveoaents : ils
virent que les mêmes phénomènes étaient consLimmcnt accompagnés de la même dis-* position (les astres, et que les astres ayaient des mouvements réguliers, une marche con- stante ; les prêtres chaldéens jugèrent donc que les phénomènes étaient liés, cl que les saci'tiiccs n’en interrompaient point le cours ; ils jugèrent que les phénomènes avaient une cause commune qui agissait selon des lois, ou par des motifs qu’ils ne connaissaient pas, qu’il était important de découvrir , et qu’ils recherchèrent.
Les astres eux- mêmes obéissaient à ces lois : leur formation, leur arrangement, leurs influences étaient des suites de ces lois gé- nérales par lesquelles la nature était gou- vernée. Les Chaldéens furent donc détermi- nés à rechercher dans le ciel même la coq* naissance de la cause productrice du monde, et celle des lois qu’elle avait suivies dans la formation des dires et dans la production des phénomènes , parce que c’était là que rési- dait la force qui produisait tout. Les astres étaient des amas de lumières , les espaces qu'ils occupaient en étaient remplis , nulle autre force ne paraissait agir dans ces espa- ces ; les Chaldéens pensèrent que la lumière était la puissance motrice qui avait produit les astres : on ne pouvait douter que ectto puissance ne fût intelligente, et les opérations do l'âme parurent avoir avec la subtilité et ractivilé de lumière tant d’analogie , que des hommes qui n’avaieiit pour guide que rimaginaiion , n’hésitèrent point à regarder rintelügcnce comme un attribut de la lu- mière, et l’âme universelle, ou rintelligcnco suprême, comme une lumière.
Les observations des Chaldéens 'car avaient appris que les astres él'aiciil à des distances inégales de la terre, et que la lumière biissait à mesure qu’elle s'en approchait ; ils jugèrent que la lumière descendait d'une source infiuiment éloignée de la terre , qui remplissait de scs émanations l’immensité de l’espace, et qui formait, àcertainesdistan- ces , des astres de différente espèce. L’âme
f productrice du monde fut donc conçue par es philosophes chaldéens sous l’image d’uno source éternelle et intarissable de lumière : on crut qu’elie était dans l’univers ce que le soleil était pour l'espace qu'il éclairait et qu’il échauffait.
Puisque la lumière allait toujours en s’af- faiblissant , il fallait <iue la source de la lu- mière lût d’une subtilité et d’une pureté in- finiment au-dessus de tout ce qu’on pouvait concevoir, et par conséquentsuii vcraincmcnC Intelligente. Les émanations, en s’éloignant rie leur source, recevaient moins d'activité, dégénéraient de leur première perfection, par le décroissement successif de leur acti- vité : clics avaient donc formé des élres et des intelligences différentes , selon qu’elles étaient éloignées de la source de la lumière, et enfin elles avaient perdu par degrés leur légèreté , s’étaient coudensées, avaient pesé les unes sur les autres ; étaient devenues malérieiles , et avaient formé le chaos. Il j avait donc entre l’être supréuic et la terre
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une chaîne d’étrcs hilermédiaires, dont les perfections décroissaient à mesure que ces êtres étaient éloignés du séjour de rétro sapréme.
Cet être avait communiqué aux premières émanations, dans le degrés le plus éminent, riutelligcDcet la force , la fécondité : toutes les autres émanations participaient moins do ces attributs à mesure qu'elles s’éloignaient de l’intelligence suprême ; ainsi tous les dif- férents espaces lumineux qui s’étendaient di'puis la lune jusqu’au séjour de rintclli- ' gencc suprême, étaient remplis de differents ordres d*csprils.
L’espace qui environnait le principe ou la source des émanations était rempli d’in- CclUgences pures et heureuses. Immédiate- ment au-dessous des pures intelligences commençait le monde corporel ou rempyrce: c’était un espace immense éclairé par la lu- mière purcq ui sortait immédiatement de l'élre suprême : il était rempli d'un feu infiniment moins pur que la lumière primitive , mais infiniment plus subtil que tous les corps. Au - dessous de l’empyrée , c’était l’éther, ou un grand espace rempli d’un feu plus grossier quecelui de l’empyrée. Après i’élher, étaient les étoiles fixes répandues dans uu grand espace où les parties les plus denses du feu éliiéré s’étalent rapprochées, cl avaient formé les étoiles.
Le monde des planètes suivait le ciel des étoiles fixes, c’était l’espace qui renfermait le soleil, la lune et les planètes. G'élait dans cet espace que sc trouvait le dernier ordre des êtres, c’est-à-dire la matière brute , qui, non seulement était destituée de toute acti- vité, mais qui sc refusait aux impressions et aux mouvements de la lumière. Les différen- tes parties du monde se touchaient, et les es- prits des régions supérieures pouvaient agir sur les régions inférieures , y pénétrer et y descendre. Puisque la matière du chaos était informe et sans mouvement , il fallait bien que les esprits des régions supérieures eus- sent formé la terre, et que les âmes humai- nes fussent des esprits descendus des régions supéii ures.
Le système des Chaldécns ressuscita donc tous les génies que la raison avait fait dis- paraître , cl on leur attribua toutes les pro- auctions , tous les phénomènes , tous les mouvcaicnls produits sur la terre : la forma- tion du corps humain , la production des fruits , tous les dons de la nature furent at- tribués à des esprits bienfaisants.
Dans cct espace même qui est au-dessous de la lune, au milieu de la nuit, on voyait se former des orages ; les éclairs sortaient de l’obscnrilé des nuages, la foudre éclatait et désolait la terre : ou jugea qu’il y avait des esprits ténébreux, des démons matériels ré^ pandus dans l’air. Souvent du soin de la (erre même on voyait sortir des flots de feu ; la terre était ébranlée : on supposa des puissan- ces terrestres, uu des démons dans le centre de la terre ; et eomine la matière était sans activité, tous les mouvements furent attribués à des génies. I.es orages , les volcans , les
sa
tempêtes semblaient n’avoir point d’autres objets que de troubler le bonheur des hom- mes. On crut que les dénions qui les pro- duisaient étaient malfaisants cl haïssaient les hommes, on leur attribua tous les événe- ments malheureux, et l’on imagina une es- pèce do hiérarchie dans les mauvais génies, comme on l’avait supposée dans les bons.
Mais pourquoi riiilelligencc suprême qui était essentiellement bonne, n’accahlaiUellc pas du poids de sa puissance cette foule de génies malfaisants ? Les uns crurent qu’il n’était pas de la dignité de l’intelligence su- prême de lutter elle-même contre ces génies : .les autres crurent que çcs génies méchants par leur nature étaient indcslrucliblcs , et que l’intelligence suprême ne pouvant ni les anéantir ni les corriger, les avait relégué) au centre de la terre, dans l’espace qui est au-dcssuus de la lune, où ils exerçaient leur empire cl leur méchanceté ; que pour soutc- uir le genre humain contre des ennemis si nombreux et si redoutables , riniclligcneo suprême envoyait des esprits bienfaisants, qui défendaient sans cesse les hommes conlre les démons matériels. Comme les bons et les mauvais génies avaient des fonctions parti- culières cl des degrés différents de puissance, on leur donna des noms qui exprimaicni leurs fonctions.
Puisque les esprits bienfaisants é:aient chargés de protéger les hoînmes et de les se- courir dans leurs besoins, il fullail bien qu'iU entendissent le langage des hommes : on crut donc que les hommes avaient des génies pro- tecteurs conlre tous les malheurs , et que chaque génie avait son nom qu’il suffisait de prononcer pour leur faire connaître le bcsoinqu’on availdeleursecours; oninventa donc tous les noms qui pouvaient évoquer les génies bienfaisants , ou leur faire con- naître les besoins des hommes ; on épuisq toutes les combinaisons des lettres pour for- mer un commerce entre les hommes et les génies, et voilà une origine de la cabale, qui attribuait à des noms bizarres la vertu de faire venir les génies, de mettre les hommes en commerce avec eux, et d’opérer par co moyen dos prodiges. Ces noms servaient aussi quelquefois à chasser les génies malfaisants; c'étaientdes espèces d’exorcismes : car comme on croyait que ces génies étaient relégués au centre de la terre, et qu’ils ne faisaient dq mal que parce qu’üs avaient trompé la vi- gilance des génies destinés à les garder, et qu’ils s’élaient échappés dans ralmosphère, on croyait que ces génies malfaisants s’en- fuyaient lorsqu’ils entendaient prononcer lo nom des anges chargés de les tenir empri- sonnés dans les cavernes souterraines, et de les punir lorsqu’ils en sortaient.
(domine un avait supposé dans le nom du génie, ou dans le symbole qui exprimait sa fnDclioii, une vertu qui lo forçait à sc ren- dre auprès des hommes qui l’invoquaient^ on crut que ce nom gravé ou écrit sur une pi^erre fixerait en quelque sorte le génie au- près (le celui qui le porterait, et c’est appa- remment J'originc des talisinaus, faits ou
TEMPS ANTERlEUnS A JtSUS-CIiRIST. — PIIILOSOPH18.
59 D.CTIONNAmE DES IIEDGSIES. - DISCOURS TRELlMiNAinE. CO
avec des mots on avec des fignres symbo- liques. Gomme les démons avaient des orga- nes, et que les génies tutélaires pouvaient ne pas SC rendre avec célérité anx sollicitations des hommes, on crut pouvoir se garantir de leurs attaques en plaçant dans les endroits par lesqui ls ils pouvaient passer, des aiguil- les et des épées que Ton agitait, et qui cau- saient beaucoup de douleur aux démons lorsquVlles les rencontraient; et (omme la subtilité des corps des démons pouvait les garantir des coups d'épées, on crut qu’il fal- lait les rhnsser par de mauvaises odeurs, ou en allumant du fcn.
De cette supposition queles démons éfaîeirt corporels et sensibles, on les crut capables de se passionner pour les femmes; c’est ap- paremment de là que vint la croyance des démons incubes, et une infinité de pratiques superstitieuses qui ne pouvaient être exer- cées que par des femmes : ainsi, par exemple, pour avoir de la pluie, on faisait danser dix vierges habillées de rouge, qui s’agitaient, étendaient leurs doigts vers le'soleif. et f li- saient certains signes. Pour arrêter la grêle, au contraire , on faisait coucher quatre femmes sur le dos; dans cette attitude, elles prononçaient certaines paroles , puis le- vaient les pieds vers le ciel, cl les agiiaicnC: c’est apparemment à ces principes que tient le respiect qu’on avait pour les femmes, qui jouaient un rMc coiisidérabfc dans la magie clialdccnnc (1).
§ II. Des principes religieux des pliilosophes persans.
Lorsque les mages eurent découvert que fous les phénomènes étaient liés par une chaîne invisible aux sens, ils cessèrent de les attribuer à celle foule de génies qu’ils avaient imaginés dans tous les é!écncn:ts; its les allribuèrcni à ccite cause commune, à la puissance qui animait la nature, et qui con- tenait en ellc-mémc le principe du mouve- ment. Les Perses crurent voir celte cause dans le feu; nul élément ne leur paraissait avoir dans la nature une inlliicnrc plus gé- nérale que le feu : c’était lui qui faisait ger- mer les grains, croître les plantes, mûrir les fruits ; on le retrouvait dans le bois, dans la pierre qui, froi>scs, s’éeliaulTaicnt et s’en- flammaient ; on le sentait dans l’intérieur de la (erre. Les mages jugèrent donc que le feu était le principe, la matière de tous les corps et la force motrice qui agitait tous les élé- ments. La chaleur descendait du ciel sur la terre, cl ils savaient qu'elle diminuait en s éloignant de sa source : ils jugèrent qu'à une cerlfiinc distance du soleil, il devait y avoir des parties de feu qui devaient former des éléments dilTérents, et enfin la inatièré brute cl insensible. Il y avait donc dans ces principes un être sans activité, insensible, qui se refusait au mouvement du feu, et qui était csscntioilemciil opposé au principe qui animait la nature, à lame universelle.
Entre la matière brute cl l’ànic univer- aeile, qui claicui comme les deux extrémités
(1) Yoypz nihl. ic la riiil. Oricût. de Slanlry.
de la chaîne des êtres, il y avait une infinité de parties de feu douées d’une infinité de degrés d’activité dttférents. Bans fa région qu’occupait la matière, on trouvait des êtres pensants, telle était l’Ame humaine : sa pen- sée paraissait l’efTel de son activité. Les ma- ges supposèrent donc entre l'âme universeUe et la matière brute, une infiiiHé d’esprits difTcrenls, dont la* sagacité et rinteiligence décroissaient sans cesse : à certaine distance de l'âme universelle, elles n’élaienl que sen- sibles ; et enfin des forces motrices qui dé- croissaient sans cesse, jusqu’à rc qu’elles ' fussent devenues matière brute.
Les mages supposèrent donc dniis le monde une âme universelle , d’où sortaient des intelligences pures qui n’obéissaient qu'à la raison, des êtres intelligents et sensibles qui obéissaient au sentiment cl à la raison, des êtres purement sensibles qui ne suivaient que leurs désirs ou leurs besoins, des forces motrices qui n’étaient ni intelligentes ni sen« sibles, et qui ne tendaient qu'à produire du mouvement, cl enfln des êtres sans force et sans mouvement, qui formaient la matière. Us crurent trouver dans ces d.flëreiils êtres des principes suffisants pour former tous les corps, et produire tous les phénomènes sur la terre, dans l’atmosphère et dans le t iel. et surtout le mélange des biens et des maux. Lorsqu’on examine ia nature des maux qui aflligcnl les hommes, o« découvre quMs ont leur source dans-la^ matière : c’est d'ette que naissent nos besoins et nos douleurs: ainsi ces mages jugèrent que la matière ou les ténèbres étaient un principe mauvais, essen- ticllemeni opposé au principe bieiifaisaat qui était la lumière.
Comme ils concevaient l’Etre suprême sous l’image d’une source de laquelle sortait sans cesse un torrent de lumière; et qoel'i- magînation ne pouvait ni suivre ce torrent dans rimmensilé de l’espaoe,. ni se repré- senter comment Celle source ne serait pas tarie, si elle avait produit sans réparer ses forces, et ranimer sa fécondité; Us supposé*» rent qu’il y avait un retour continuel de toutes les parties ténébreuses au sein de l’Etre suprême, où elle.s reprenaient leur première activité. Ainsi l’inertie des parties ténébreuses diminuait sans cesse, et la suite des siècles devait leur rendre leur première acliviié, faire disparaître In matière, et rem- plir lo monde d'un feu pur et d’Intel. igenees .sublimes et heureuses : c'est ce système que Plutarque expose d’une manière figurée, lorsqu'il dit que les Perses croient qu’il y a un temps marqué où il faut qii’Arimanc pé- risse (2J.
D’autres mages crurent qu’en elTcl les biens et les maux étaient produits par des génies qui aimaient à faire du bien aux liotn- meSt ou qui se faisaient un plaisir de leur malheur : ils attribuèrent tout à des inlcl.i* geiices bonnes ou mauvaises par leur na- ture. L’inégalité de leurs effets eti fit suppo- ser dans leurs forces, et l'on imagina daiia
(9) Plu! or. , de Uide el Osiride.
61 TEMPS ANTERIEURS A JESUS-CIlRIiT. -- PULOSOPlllE: 09
les (^éoles une espèce do gradation sembla- ble à celle qu’on voyait dans les phénomènes de la nature. L’imagination termina cette longue chaîne de génies bons et mauvais à deux génies plus puissanjs que les autres, mais égaux entre eut; sans cette égalité, 1*011 n’rùt vu que du bien ou du mal dans le inonde. Les mages supposèrent donc dans la nature deux principes opposés, que l’a- mour (lu bien et du mal portait à en faire aux hommes, et que Ton pouvait intéresser en faisant du bien ou du mal : c’est de là que vint l’usage d'immoler dos hommes choisis parmi les malheureux, et auxquels on pro* curait pendant une ou plusieurs années tous les plaisirs qu’ils désiraient : on croyait par ce moyen satisfaire le méchant principe sans déplaire au bon.
La religion des philosophes persans se réduisait donc à croire un être nécessaire, éternel, infini, duquel tout était sorti par voie d’émanation : les hommes, leurs pen- sées, leurs actions, étaient enchaînés par la mémo nécessité qui produisait les éma* nations; nulle récompense n’altendail la vertu, nul châtiment n’était réservé au cri- me : il n‘y avait même dans ce système ni vertu ni crime, cl par conséquent ni reli- gion ni morale pour le mage qui suivait scs principes philosophiques. A l’égard de ceux qui supposaient des génies bons et mauvais; leur religion n’élail point distinguée de la religion populaire, cl U^s principes religieux de ces mages ne conduisaient ni à la piété ni à la vertu, et ne rendaient les hommes ni bons ni religieux, mais superstitieux et mé- chants. Partout où la croyance du bon et du mauvais principe a été un dogme reli- gieux, on a fait beaucoup de mal pour plaire au mauvais principe, cl fort peu de bien oour plaire au bon.
I IH. Des |irincipcs religieux des iiliilosoplies égypliens.
Les prêtres égyptiens destinés à recher- cher les moyens de plaire aux génies atix- qu(*ls on croyait que les hommes devaient leur bonheur, obsi’rvèrenl l’origine, l’ordre et la suite des phénomènes : ils décopvrtrent qu’une puissance incénnuc nu vulgaire liait IfS phénomènes, qu’une force assujettie A des luis constantes les amenait indépendam- ment des vœux et des sacrificiis, et que les génies, s’ils existaient, ne produisaient rien.
Pour connaître les lois que suivnilla cause productrice des phénomèiusjcs insirumenls et te mécanisme qu’elle emplovait, ils ob- servèrent la naissance des animaux et diS plantes ; et comme l’Egypte devait à i’eau sa lécondiié, ils crurent que cet élément était l'agent par le moyen duquel l’âme univer- se le produisait lous les corps, lis crurent la retrouver dans toutes les productions qui de- venaient successivement (erre, feu, air, etc. Ils jugèrent que l âmc universelle produisait tous les corps en s’unissant à une malîère susceptible de toutes les formes, et admirent pour principes de tous les êtres un esprit uni-
fl) Plotarq. loc. dt.
verselet lanatière.Le mouvement général de la matière, la fécondité inaltérable delà (erre et des animaux leur firent juger que l’esprit universel et la matière tendaient' nécessaire- ment à s’unir, et à produire des êtres vivants cl animés (1). Les irrégularités et les diffor- mités qu’ils observèrent dans les différentes productions de la nature leur firent juger que l’esprit universel et la matière s'unis- saient par un atirait invincible, et que l'âme universelle tendait toujours à produire des corps réguliers, mais que la matière était in- docile à scs impressions, et so refusait à ses desseins, ou que c'était par une impétuosité aveugle qu’elle s’unissait avec l’âme univer- selle : la matière contenait donc une force, ou un principe d’opposition à l’onlre et à la régularité que l’esprit universel voulait met- tre dans ses productions, cl l(*s philosophes égyptiens supposèrent dans la matière un principe maltaisnnt ou méchant. Tout était donc produit, selon eux, par le mélange ou le concours d’un bon ou d’un mauvais prin- cipe, qui n’étaient que des forces motrices ou physiques.
Les philosophes égyptiens ne reconnais- saient dans ces drux principes ni lois nniberté, l’esprit universel n’avait pu donner des lois aux hommes, il ne pouvait, ni ne voulait les récompenser ou les punir : leurs principes philosophiques étaient donc destructifs de toute religion.
Les philosophes ou les prêtres égyptiens conservèrent avec beaucoup do secret cette doctrine dans leurs collèges, et l’exigèrent de leurs discipIcs.Hérodote instruit par eux, déclare qu’il s’esi imposé la toi do ne point parler des choses divines de TEgypte, Héro- dote, I. Il, c. 5. On ne laissait. échapper de la doctrine secrète que ce qui pouvait s’accom- moder avec la religion nationale, qui était utile à la société et au bonheur de<i particu- liers: l’irréligion ne procure ni consolation dans les malheurs attachés à la nature hu- maine, ni ressource contre les passions dan- gereuses.
§1V. Des priiicipes religieux des piiilosophes iodions.
Nous avons vu que l’Inde doit sa fécondité aux inondations des fieuvesqui la baignent; que les peuples attribuèrent ces înoruTilions à des portions de l’esprit universel qu'ils re- gardaient comme Tâme de la nature, qu’ils honorèrent ces génies, qt qu’ils apprirent l’nrl de conduire les eaux cl de prévenir la stérilité qui suit les inondations excessives ou trop faibles. Malgré ces précautions et le culte rendu aux fleuves, ils éprouvèrent des chaleurs excessives, des calamités ^ dos années stériles ; leurs campagnes furent ra- vagées par les animaux sauvages, eux cl leurs (roupe.'tux furent attaqués par les li-
f;res et par les lions dont ITiide est remplie. I s’éleva des disputes pour la disfiibulioa des eaux, pour le partage des terres; l’abon- dance roémé alluma des passions contraires à la tranquillité des familles.
C3 DICTIONNAIRE DLS HERESIES.
^ Losindîcns s'fipcrçorctildonc qu’ils avaient h craindre la bizarrerie des saisons, les élé- ments, les bêles féroces, les passions et la cupidité des hommes : ils tâchèrent de pré- voir et do prévenir les phénomènes dange- reux, la stérilité de la terre, rinconstanco des génies; de se garantir eux, leurs trou- peaux et leurs moissons des attaques des animaux, et de mettre un frein à la cupidité cl à l’injustice des hommes. Ils établirent des chasseurs qui gardaient les troupeaux et les campagnes, des philosophes destinés à prévoir les phénomènes et à diriger les pas- sions dos hommes, tandis qu’une autre partie de la nation cultivait la terre, soignait les troupeaux et fournissait une subsistance commode aux chasseurs et aux philoso- phes (1). Ces derniers firent de la nature et de rhomme l’objet de leurs recherches, et SC distribuèrent en différentes classes qui se communiquaient leurs observatrons ^ ainsi respril humain ne dut faire nulle part d’aussi rapides progrès dans la connaissance de la nature cl dans l’clude de la morale et de la législation. Le temps, les révolutions que ITnde a éprouvées, l’usage où les philoso- phes étaient de ne transmettre que de vive voix leurs observations et leurs idées, nous ont dérobe la marche de l’esprit de ces phi- losophe^ ; mais par les monuments qui nous restent sur l’ancien étal de ces peuples, on aperçoit que les philosophes chargés d’é- tudier la iialnre , ne s^lhaissè^ent jamais jusqu'à chercher à prédire les événements particuliers, et qu’ils s’appliquèrent avec beaucoup d’ardeur à l’art de prévoir et de prédire les mauvais temps; qu’on retran- chait de la classe des philosophes ceux qui s'étaient trompés troisfoisde suite dans leurs prédictions (2).
Ces philosophes découvrirent donc de la liaison entre les phénomènes, et jugèrent qu’uue force immense unissait ou séparait les corps, que ces corps étaient composés de dilTércnts éléments dans lesquels la force raoirice agissait diversement; que, de tous les éléments, l’eau avait la principale part dans la production des corps, ou qu’elle était même le principe universel de notre monde (3j. Us n'aperçurent point dans le ciel l’inconstance et la bizarrerie qu’on observait dans Tât- mosphère et sur la terre, ils jugèrent qu’un être essentiellement dilTércnl formait le cieU Ain.^i i!s supposèrent dans le ciel un être qui agissait toujours avec sagesse et avec régu- lariié, ctsur la terre une force sans raison.
Cepcinlanl comme il y avait de l’ordre, de la régularité dans beaucoup de productions cl do piiénomèncs du monde terrestre, ils jugèrent que la raison qui régnait dans le ciel,’ avait dirige la force qui agitait les par- ties du monde terrestre, et qu’elle l’avait di- rigée par des portions détachées d’clle-mémc ; et comme ils avaient remarqué que tout était lié dans la nature, ils supposèrent qu’un génie plus puissant que tous les autres,
(1) Sfrab., I. XV.
( Arri.‘ii, in Imiicii.
(3; SU’ub., iüid.
— DISCOURS PRELllirNAÏRE, C4
avait formé le plan du monde et allachc d chaque partie de la nature des génies, pour diriger la force motrice selon les lois qu’il prescrivait.
Les philosophes indiens , en étudiant l’homme, aperçurent qu’il connaissait et qu’il aimait l’ordre, mais que souvent il était entraîné dans le désordre malgré la voix de la raison. Ils jugèrent que l’homme avait en lui- même une portion de l’esprit céleste qui connaît Tordre et qui l’aime, et une portion' de la force motrice, qui n’a ni connaissance ni amour de Tordre ils cherchèrent les moyens de subjuguer celle force motrice en domptant le corps dans lequel elle résidait : ils crurent que la médecine devait faire une partie do la morale, et recherchèrent les moyens de calmer Tcffervcscencc du sang, et d'amortir la sensibilité des organes d’où naissait la force des passions. D’après ces idées, les philosophes indiens jugèrent que Tame humaine était une portion de Tétre suprême unie au corps pour entretenir Tor- dre autant qu’elle le pouvait^ et pour con- courir au but général que l’être suprême s’était proposé en formant le monde, ils en- seignèrent doneque tout homme était obligé de procurer tout le bien qu’il pouvait, et que l’homme n’avalt droit aux bienfaits que I être suprême répandait sur la terre qu’au- tant qu’il remplissait cette obligation. Les brachmanes firent de ce principe la règle de leur conduite, ils éiaienl toujours en action; lorsqu'on s’assemblait pour manger , 1rs anciens inlerrogoaient les jeunes, H leur de- mandaient ce qu'ils avaient fait de bien dc-
Ï mis le lever du soleil, et s’ils n’avaient rien ait, ils sortaient et allaient chercher quelque bonne action à faire : c'était une loi invio- lable de ne point dîner avant que d’avoir fail du bien (4). Les brachmanes étaient donc sans cesse occupés du bonheur des autres- hommes, cherchaient avec une ardeur in- crovable les propriétés salutaires des plantes et des minéraux, les moyens de perfection- ner les arts ou la législation, les occasions de soulager un malheureux, de défendre uu op- primé; leur bienfaisance s’étendait à tout cO' qui était sensible, et ils se seraient fait on: crime de manger un animal. Les brachmanes remplissaient ainsi leur carrière, persuadés que leur bienfaisance et leur régularité à. remplir leurs obligations, les élèveraient par degrés au rang des génies supérieurs, cl len conduiraient enfin au sein do la Divinité (5).
Les hommes qui ne remplissaient pas To- bligation qu’ils contractaient en naissant, qui se livraient aux plaisirs des sens, et qui obéissaient à leurs passions, n’avaient point droit à CCS récompenses : leurs âmes déga- gées des liens du corps par la mort, entraient dans d’autres corps où clics étaient punies et malheureuses. Rien n’était donc plus fâ- cheux pour Thomme que d’être Tcsclave des passions; rien n’était plus heureux que de mourir après avoir fait du bieu. Tandis que
(i) Apulée, in Ftorid.
(SS) Slrub., loc. cil.
65 TEMPS ANTERIEURS A JESUS CUhUT. — PIIILOSOPMIE. . C6
rbommc livré aux passions errait de corps en corps cl devcnail le jouet dos éléments « le philosophe vertueui, en mourant, volait au sein de la Divinité.
11 y eut des brachmancs sur qui ces idées firent des impressions si profondes , qu’ils n'hésitèrent point à se donner la mort, lors- qu'ils crurent avoir fait le bien auquel rhoRunc est obligé; d’autres, pour sc garan- tir des passions, se sépai^rcnl du commerce des hommes, et se retirèrent sur des monta- gnes inaccessibles ou dans des cavernes, et J vivaient en silence; quelques-uns se dé- vouaient à toutes sortes d'austérités et à des pratiques dures et souvent ridicules qu’ils regardaient comme des sacrifices faits à ^^élre suprême, et comme des compensations du bien qu'il exigeait de l'homme : tels furent ces brachmanesqu’Onésicrilc trouva dans des altitudes qu’ils conservaient depuis le malin jusqu’au soir (1).
Lorsqu'une fois une pareille idée est de- venue dominante dans une société, l’esprit s’y fixe, cl la raison ne fait plus de progrès. C csl ainsi que la crainte des passions cl le désir insensé de la perfection rendirent au moitis inutiios des hommes dont la philoso- phie religieuse des Indiens avait tourné toute l’aclivilé vers le bonheur de rhumanité.
Tels étaient les principes religieux dos I hilosophes indiens avant la naissance de la philosophie chez les Grecs, cl peut-être chrz les autres peuples; malgré les révolutions auxquelles Tlndc a été sujette, ces opinions s'y sont conservées , et sont encore aujour- d'hui la religion d’une grande partie de l'Asie.
CHAPITRE IV.
Des principes religieux des philosophes^ rfe- puis la naissance de la philosophie chez les Grecs y jusqu* à la conquéle de l'Asie par Alexandre.
Le temps qui multipliait les hommes rap- prochait sans cesse les grandes natjons des petites familles que le besoin, la crainte, la guerre ou le hasard avaient dispersées sur la terre, et qui vivaient sans arts, sans scien- ces, sans luis et sans mœurs. Les prêtres des grandes nations ne virent point avec indif- fêrence rbumanilé dégradée et abrutie dans CCS hommes sauvages : ils les touchèrent par le charme de leur éloquence, leur inspirè- rent des principes de société, ou plutôt dé- veloppèrent ces germes d’humanité, de jus- tice, de bienfaisance que la nature a mis dans le cœur de tous les hoaimrs, et que la cupidité, l’ignorance et les passions étouf- fent; iis leur donnèrent des lois et rendirent CCS lois respectables par la crainte des dieux : tels furent Prométhée, Linus, Orphée, Mu- sée, Eumolpe, Mélampe, Xamolxis (2). Les sages qui policèrent ces peuples leur porlè- rnil les systèmes des philosophes chaldcens, persans, égvpliens, etc. , mais enveloppes sous le voile de l'allégorie, et ils n’avaient
(1) .^irab., lue. cU. ; Porphyr., de Abslio. 1. iv.
(%) Æ«ch. iii ProniHlh., YiiiCl., Laerl. 1. 1., Did. Sic. 1. iti. ri;>l.üc Uc] ub. 1. i,liorat. carm. Ode i2,Scliulcrst.,
point de philosophes qui étudiassent la na< turc.
Les co!onies détachées des grandes nations qui avaient des collèges de prêtres et do philosophes occupés à perfectionner la mo- rale et à étudier la nature, conservèrent avec leur métropole des relations, et formèrent des communications entre les peuples qui cultivaient les sciences cl ceux qui ne les connaissaient pas. Par le moyen de celle communication, la raison et la curiosité s’é- levèrent chez les derniers ; on vit parmi eux des hommes qui sacrifièrent au désir de s’é- clairer leur repos et leur fortune, et qui voyagèrent chez les peuples célèbres par leur habileté, par leur sagesse et par leurs conuaissances : tels furent Phcrécide, Tha- ïes, Pylhagore, Xénophon, etc., qui voya- gèrent en Egypte, en Perse, chez les Indiens : partout les collèges leur furent ou- verts (3). Toutes les sciences étaient culti- vées cl enseignées dans les collèges des prê- tres ; mais les esprits étaient principalement occupés de l’élude de forigine du inonde et deJa puissance qui produisait tous les êtres et tous les phénomènes. Ce fui vers ce grand objet que les philosophes que nous avons d- I6s louruèrent l'effort de leur esprit ; chacun adopta le système qui lui parut le plus satis- faisant, ou réunit, combina, changea à son gré les idées de scs maîtres.
Thalès adopta le système des philosophes égyptiens; il enseigna que l’eau était [‘élé- ment général d’où sortaient tous les corps, et qu’un esprit infini en agitait les parties, les arrangeait et leur faisait prendre toutes les formes sous lesquelles elle se métamor- phosait : il imita la sage retenue des prélrcs égyptiens; il adora, comme le peuple, des dieux et des génies auxquels son système ne donnait aucune influence dans la nalure.
Pbérécidc, Béraclite supposèrent que le feu était le principe cl la cause de tout.
Xénophanc, plus frappé de l’idée de l’in- fini que tous les philosophes admettaient que des phénomènes, ne supposa point dans le monde autre chose que l’infini, qui, par cela même qii’il était infini, était immobile : d’où il concluait que les phénomènes n’étaient que des perceptions de l’esprit.
Pylhagore voyagea, comme Thalès, en Egypte, en Perse, en Chaldéc, ch^z les In- diens : il fit un système qui réunissait ou partie ceux do scs maîtres, et qui approchait pourtant plus du sentiment des Perses : il admit dans le monde une intelligence suprê- me, une force motrice sans intelligence, uno matière sans intelligence, sans forme cl sans mouvement. Tous les phénomènes, selon Pylhagore, supposaient ces trois principes ; mais il avait observé dans les phénomènes une liaison de rapports, uno fin générale, et il attribua rcnchaincmcnl des phénomènes, la formation de toutes les parties du monde et leurs rapports, à rinlelligonce suprême, qui seule avait pu diriger la force motrice et
Aristoph. in Ran., Meursitts de Sac. Elousia. c. 2, Suid. iu Eiuuolp., Â|iollodor. Ub. i.
er
DICTIONNWIIK DES HERESIES. — DISCOURS PRELlMfN.JtlB.
es
établir des rapports et des liaisons entre toutes les parties de la nature; il ne donna doue aucune part au& génies dans la ronna- lion du monde. Pjthagore avait découvert iMitrc les parties du monde des rapports, (les proportions ; il avait aperçu que la béante, ou riiarmonie, ou la bonté étaient la Gii que l’intelligence suprême s'était proposée dans la fortnation du monde, et que les rapports qu’elle avait mis entre les - parties de l’univers étaient le moyen qii’elte avait employé pour arriver à celte fin. Ces rapports s'exprimaient par des nombres; les rapports, par exemple, qui sont entre les dislances et les mouvements des planètes, s’expriment par des nombres : parce qu’une planète est, par exemple, éloignée du soleil plus on moins qu’une autre , un certain nombre de fois. Pyihagore conclut que c'é- tait la connais 'tance de ces nombres qui avait dirigé l’intelligence suprême. L’dme do riioinmc était, scion Pyihagore, une por- tion de celle intelligence suprême que son union avec le corps en tenait séparée, et qui s'y réunissait lorsqu'elle s'élail dégagée de toute nITeclion aux choses corporelles; la mort qui séparait Tâme du corps, ne lui ôtait puiiil ces affections; il n’appnrtcnalt qu’à la philosophie deii guérir rdme, ci c’était l'objet de tonte la morale de Pylha- goro. ( Voyez dans rKxnmcii du Fatalisme le système de morale du Pyihagore et dans la vie de ce phi osoplie par Dacier, etc.)
Partout où ces philosophes portèrent les lu inières qu’ils avaient acquises, ils obtin- rent du la considération, ils établirent des écoles, iis eurent des disciples ; ainsi la phi- losophie sortit des collèges des prêtres, et son sanctuaire fut ouvert à tous les hommes qui voulurent cultiver leur raison.
Les disciples de ces philosophes ne furent pas tous pleinement salisfails des systè nés de leurs maîtres. L'école de Xenophane s’oc- cupa longtemps a cx]di(|uer les phénomènes, en supposant dans la nature un être infini, immobile, et finit par admettre une infinité de petits corps doués d'niic force motrice et sans cesse en mouvement. Comme dans les principes de ces philosophes la nature n’a- vait point de dissciii, l'Iiomme n’avait, a proprement parler, ni destination ni de- voirs, mais il tendait à un but, il voulait être heureux; et ces philosujdics découvrirent que riioinme n'ctail point heureux au hasard; qu'il ne pouvait l'étro que par la tempé- rance, que par la vertu, par le plaisir quo procure une bonne consrience (1).
Anaximandre , au lieu d’aüiiicllrc pour principe du monde l’eau et un esprit infini , comme Thalès, n’adinil qu’un être infini qui, par cela même qu’il était infini , coiiicnait tout, produisait tout, était tout par son es- sence cl nécessairement.
Aiiaximèiic crut que cct être Infini était l’air; ÜiOgèm* d’Apoilonic enseigna quo cet air était iii.elligeal.
Auax .gore jugea que les principes de tous
(1) La iitorali*. (lu ce^ philusofili(>s n élé exposée avec lu aucoup de Uûliiil dans rEvauico du FaUlbuie, t i.
les corps étaient de petits corps semblables aux grands, qui étaient confondus dans le soin de la terre , et quo l’esprit universel réunissait ; mais comme il y avait des irré- gularités dans le monde, Anaxagore sentit que l’inlervcntioii de son inlelligonce ne suf- fisait pas pour expliquer tout ; il crut qu'il y avait des choses qui existaient pas néces- silé, d'autres par hasard , et enfin pensa que tout était rempli de ténèbres, et qu'il n’y avait rion de certain. Arcliélaüs. disciple d'Anaxagorc, crut que le froid et le tiiaod produisaient tous les corps, et joignit l’élude de la phy'iiipie à celle de la morale. Socrate, disciple d’Archéhiüs , fui charmé du sen- timent d’Anaxagorc sur la formation du monde ; mais ce philosophe n’exptiqnail ni pourquoi celle inteliigi*nce avait mis d .ns la matière l’ordre qu’on y admirait, ni quelle était la destination de chaque être et l’objet de (ouïes les parties du monde ; il rejeta un système qui ne donnait aucune fin , aucune sagesse àrintelligeiicc qu’il faisait intervenir dani la production du momie : la nauirc no lui opposait que des mystères impénétrables, il crut que le sage devait la laisser dms les ténèbres où elle s’étail ensevelie ; il tourna toutes les vues de son esprit vers la morale, et la secte ionienne n'eul plus de physieieiis.
Socrate chercha dans le cœur même de riioinmc les principes qui conduiraient au bonheur, il y trouva q e l'h imme ne pou- vait être heureux que par la justice, par la bienfaisance, par une conscience pure : il forma une école de morale.; mais ses dis- ciples s’écarlèrcnt de ses principes, cl rher- dièrenl le bonh<ur tantôt dans la volupté, tantôt dans lu suite des plaisirs innocciils, quelquefois dans la mort meme.
Les disciples de Pyihagore ne furent pas attachés plus scrupiüeusemenl aux principes de leur maître. Ocellus et Eiiipcdvule aiiri- bnèrent la production du moiid<* à dos forces dilTêrcnlcs et opposé.'s, qui agissaient sans intelligence et sans liberté. Timée supposa avec Pyihagore une matière capable de prendre toutes les formes, une force motrice qui en agitait les parties, et iiiic intelligence qui dirigeait la force motrice. Il reconnut, comme son maître, que cette intelligence avait produit un monde rég ilier et harmo- nique; il jugea qu’elle avait vu un plan sur lequel elle avait travaillé. Sans ce plan • elle n’aurait su ce qu’elle voulait faire , ni pu meltrc de l’ordre cl de rharinonic dans le monde ; elle n’aurail point élé diileronie de la force motrice, aveugle ci néce sai.e. Ce plan était l’idee , l'iiuage ou le modèle qui avait représenté à rînielligence supiéine le monde avant qu’il existât, qui l’avait dirigée dans son action sur la force iiioti icc, et qu’el e contemplait on formaiil les éléments , les corps cl le monde. Ce modèle était distingué de riiilelligeiicc productrice du mon c , comme l’architecte l’est de se.s pians. Timéu de Lucre divisa donc encore la cause pro- ductrice du monde en un esprit qui dirigeait la f\^rce nmtricc, cl une image qui l.i dcliX- miiiail dans le choix des UirocUuiis qu’elle
69 TEMPS ANTERIEURS A JESUS-CIIRIST. - PlIlLüSOrillE.
donnait A la force motrice , et des formes qu*elle donnart à ta maliire.
C'est ainsi que TAtnc universelle, A la- quelle les Chaldécns , les Perses , les Egyp- tiens attribuaient la production du momie, SG trouva partagée en trois principes diiïé- rents et séparés : une force motrire , une intelligence et une image ou une idée qui dirigeait rinlelligence , et qui était par con- séquent comme sa raison.
La force motrice n'était , selon Tiaiée , que le feu ^ une portion de ce feu dardée par les astres sur la terre , s*iiisiniiaU dans les organes , produisait des êtres animés ; une portion de i’iiitelligciice universelle s'u- nissait A celte force motrire, et formait une flme qui tenait pour ainsi (lire le niilieti entre la matière et l’esprit. Ainsi TAme liumaiiio avait deux par-tics ; une qui n'^était que la force motrice, et une qui était purrmei^t in- telligente ; la .première était le principe des passions, elle était répandue dans tout le corps , pour j entretenir rharmonie : tous les mouvements qui eiUretieuneiit riiarmonie causent du plaisir, tout ce qui la détruit cause de la douleur, selon Tiinée. Los pas- sions dépcudaieiit donc du corps , et ia vertu de T-étal des humeurs et du sang. Pour eom- maitdcraux passions, il f.illait, selon Tiiiiée, donner au sang le degré de fluidité nécessaire p<iur produire dans le corps une h>irinoiiie générale 4 alors Ja force inoirico devenait flexible, ci riulclligence pouvait la diriger ; il fallait donc éclairer la partie raisonna b!o de l’Ame^ après avoir calmé la force motrice, et c'était l’ouvrage de la philosophie.
Timée ne croyait point que les Ames fus- sent punies ou récompensées après la mort : les génies, les enfers, les furies, n'eiaienl , selon ce philosophe, que des erreurs utiles à ceux que la raison seule ne pouvait con* duire A la vertu.
Platon, après avoir élé disciple de Socrate, parcourut les dilTérentcs écoles des philo- sophes. Il ii'cut peut-être point de seniiuienl lise sur les systèmes qui s’y enseignaient ; mais son imagination se plut à développer celui de Timée de Locres, A en étendre les conséquences. Il rechercha ce que Socrate avait cherché dans Anaxagorc , pourquoi I intelligence,* qui était esseniiellenicut dis- tinguée de la force motrice , s'était déter- minée à la diriger ; comment, en la dirigeant, e:io pouvait tirer de . la rnalièrc tous les corps ; quelle était la nature du modèle ou . du plan qui avait guidé l'inlelligenco dans la production du inonde; comment elle y ejilrclenait l'ordre d'où venaient les Ames buinaiues, quelle était leur destination et leur sort.
Le monde est un, selon Platon, tout y est lié , il ne subsiste que par rharinoiiie de scs différentes parties. Platon en condiil que l’inlclligeiice du monde est une (in Tiniœo)» Celte intelligence est immatérielle, simple, indivisible; elle ne peut doue tomber sous les sens, et c'est par la rais m seule que nous pouvons nous élever à la connaissance de sa nature cl de ses attributs. Puisque celle
intelligence est immnlérielle, elle est essen- tiellement distinguée de la force motrice, elle n’a aucun r ipfmrt néi*ess iire avec cesd uix principes, et c'est libreinetil qu’elle s'^sl dé- terminée à donner A ia matière les différentes formes sous lesquelles nous la voyons.
La force inoirico agit sans objet, la ma- tière cède A son impulsion sans raison , et tout le monde serait un chaos, s’il n'y avait dans la nature que de la matière et du mou- vement ; on voit au contraire dans !«• momie nii oidre et une symétrie admirables ; il ren- ferme des créatures qui jouissent d ‘ ce spec- tacle , et qu’il rend heureuses ; c’est donc l’amour de l’ordre et la honié qui ont déior- miiié l’intelligenc' suprême A produire le monde. Celle intelligence est donc bonne et sage ; elle a produit dans le monde tout le bien dont il était capable , le mal que nous y voyons vient de l’indocilité de la maiière aus volontés de rinlelligence prôductricü du monde, (/n 7 t/n. )
Pour produire dans le monde l’ordre que nous y n tmiron-:, il fal'ail que l'inlelligcoco le connût , et qu’elle conleiii|ilAt nn inodè'o qui lui représentait le monde Ce m >-
dè!e c>t la raisun ou le verbe de V ntelli- gence. PI iton parle de ce modèle , laiifât comme un attribut do rintellîgcnee , I;int6t il parait le rrg irder comme une siibst.iiK'C distinguée de riiilrllig(»iice qui le conieinple. D’autres fols on croirait qu'il regarde le verbe comme une émanation ilc l'inlcMig uier , i*l qui subsiste hors d’elle. (/nP/ii'/cfr., deRenub. /. vu , et alibi. )
Comme rinteü'genco su pré ne est imm i- lériclle, indivisible, imoiobile, elle connut qu’elle ne pouvait par elle môme d rtg *r 1 1 force motrice , puisque celle force motrice était niatcrii lle ci divisible , cl que pour la diriger, il fallait une Ame qui eût quelque rapport avec les êtres matériels et avec l’in- telligence, et qui parlicipAt à hmrs proprié- tés. Celle intelligence produisait d me une ànic qui était inlelligeiite , et qui avait agi avec dessein sur la force moirice. L'intelli- gence suprême avait produit cette Ame p ar sa seule pensée, selon Platon, apparemment parce que ce philosophe concevait qu’un es- prit qui pense produit une image distinguée de lui , et il parait que Platon attribuait à celte image une existence constante, et qu’il ou faisait une substance : c’est une c msé- quence de sou sentiment sur le verbe ou sur la raison qui dirige rinlelligence suprême dans scs productions. Comme celle Aine était l’agent intermédiaire p ir lequel l’inicl igeiice suprême avait produit le monde, Piatou dis- tribua celte A ne dans toutes les portions du monde, selon qu’il en eut besoin pour l’cx- p.ücatioQ mécanique des phéno nènos : son centre était dans le soleil, elle s’et lil ensuite placée dans tous les astres et sur la lene, pour y produire les plantes, les animaux, etc. Ct‘S portions do l’Amè du monde étaient des génies, des démons, des dieux.
Lorsque les génies avalent rorraénn corps bumaiui une portion do rumo du monde
71 DICTIONN.vmE DES HERESIES. — DISCOURS PRELIMlNxVmE, 7i
8^'nsinuait dans scs organes, cl formnH une Âme humaine. L*âme humaine , enfermée dans CCS organes, recevait les impressions des corps et devenait sensible, elle était ca- pable de connaître la vérité et d'éprouver des passions. Ces passions n’avaient pour principe et pour objet quo les impressions des corps étrangers sur les organes ; elles alléraient dans l*âme la partie purement in- telleclucllc, ou en suspendaient Texercice ; c les dépravaient Tûme , la raison devait les combuUre , et les victoires qu’elle rempor- tait rapprochaient Tâme des purs esprits auxquels elle se réunissait lorsqu’elle n'avait plus d'attachement au corps. La mort était le triomphe de ces Âmes dégagées de la ma- tière, elles se réunissaienl à leur source, ou passaient dans des régions ou elles n’éprou- vaient plus la tyrannie des sens , et où elles jouissaient d'un bonheur parfail. ( Voyez l'£xam. du Fatal* sur Platon. )
Le souverain bonheur de ces Âmes était la coiUemplalion de la vérité et de la beauté du monde intelligible : on conçoit aisément tou- tes les conséquences qu'une imagination vive et féconde peut tirer de ces principes, pour la religion et pour la morale.
Xéiiocrale ne changea rien dans la doc- trine de Platon. Zénon , au lieu de tous les êtres que Platon fait concourir à la produc- tion du monde, n’admil que deux principes , l'un actif et l’autre passif, une matière sans forme, sans force cl sans mouvement, cl une Âme immense qui la transportait cl la façon- nait en mille manières. Celte âme était un i^eu, selon Zénon, et le feu agissait avec intel- ligence ; le monde était son ouvrage , et le monde avait une Cn : toutes les parties de ce monde tendaient à la Go générale, toutes avaient par conséquent leurs fonctions, leurs devoirs ; et le bonheur des particuliers dé- pendait de rnccomplisscmcnt de ces devoirs.
Aristote s'écarta bien davantage du sys- tème de Platon ; il reconnut, comme son maî- tre, la nécessité d’un premier moteur intel- ligent, sage, immatériel , et souverainement heureux, qui avait imprimé le mouvement à In matière, et produit des intelligences capa- bles de conniJlre la vérité; quelques-unes sont répandues dans le ciel , cl y entretien- nent rharinonie qu'on y admire. Il réfute très-bien les philosophes qui prétendaient trouver dans la matière seule la raison suf- Gsante de la production du monde; mais lorsqu’il veut établir un système, il suppose une matière éternelle, des formes éternelles renfermées dans le sein de la matière, et un moiivcmcnt éternel et nécessaire, qui dégage ces formes, les unit à différentes portions de matières, et produit tous les corps; l’Ame humaine est une substance éternoUo et né- cessaire, commeTe mouvement et la matière. Tels sont les principes religieux de la philo- sophie d’Aristote (Lté. de Anima de Coelo).
Plusieurs disciples de l'école péripaléii- cicnne s’écartèrent des principes d’Aristote ,
(1) Toupies principes de ces philosophes se trou vent dans un grand délail dans T Examen du Faut sine, auquel sous renvoyons.
et ne furent pas plus religieux : tel fut Stra- ton, qui ii’admit dans le monde qu’une ma- tière essentiellement en mouvement.
Les différents systèmes que nous venons d'indiquer, ne satisfaisaient ni la raison , ni même les philosophes qui les enseignaient. L'esprit humain créait sans cesse de nou- veaux systèmes, ou faisait revivre les an- ciens : il y cul des philosophes qui jugèrent que le sage devait rejeter tous ces systèmes, ou du moins douter; les uns parce que riiomme était Incapable de distinguer le vrai du faux , les autres parce qu'il n'était pas encore parvenu au degré de lumière qui doit produire la conuclioii (1).
CHAPITRE V.
Des principes religieux det philosophes ^ depuis
{^8 conguéies d'Alexandre, jusqu'à i'extinc*
tion de son empire.
Nous venons de voir les progrès que l’es- prit humain avait faits en Grèce à la faveui de la liberté , et au milieu des guerres do- mestiques et étrangères qui l'avaient agi- tée ; tandis que le luxe , le faste , le despo- ' tisme, les passions et la guerre élevaient o* anéantissaient les empires en Orient , déso- laient les provinces , y corrompaient le» mœurs, y avilissaient les âmes, y enchaî- naient la raison. Tout le reste de la terra était sauvage, ou sans lois, sans arts et sans sciences. Les grands hommes de la Grèce joignaient à la science de la guerre et du gouvernement , l’étude des lettres cl do la philosophie, E|)aminondas le plus grand' homme de la Grèce, au jugement de Cicé- ron (2j, avait pour amis les hommes les plus vertueux, et c'était chez lui que Lysidas , philosophe célèbre, donnait scs leçons.
Philippe fut élevé dans la maison d’Epa- minondas ; il y était encore lorsque Perdic« cas son frère, roi de Macédoine, fut lué dans une bataille.
Perdiccas laissait un fils enfant, un peuple abattu, un étal cn désordre ; Philippe en prit le gouvernement à vin^l-deux ans et fut déclaré roi par les Macéaoniens, qui Jugèrent que les besoins de l’état ne pcrmctlaieut pas de laisser le royaume à Aminlas.
Philippe rendit bientôt le royaume de Ma- cédoine puissant et florissant : enfln il se fit déclarer général de toute la Grèce, et forma le projet de tourner contre les Perses les forces que les Grecs avaient si longtemps employées contre eux-mémes ; mais il fut assassiné lorsqu'il se préparait à l'exécuter.
Philippe avait un flis, et ce fils était Alexan-* dre : à peine il était né que Philippe s’ciccupa de son éducation : il en informa Aristote :
« Vous saurez, dit-il à ce philosophe, que j'ai un fils; j’en rends grâces anx dieux, non pas tant de ce qu'ils me l’ont donné, que de ce qu'ils l'ont fait naître voire contemporain : je compte que vous le rendrez digne de me succéder et de gouverner la Macédoine (3).
Le succès surpassa les espérances de Plâ-
(2) Cic., Tusc l. J
(3) AuK-Gel. 1. U, c. L
T5 TEMPS APfTERlEURS A JESUS-CIIRiST -- PUILOSOPilIE. T#
lippe. Alexandre. élevé par Aristote, et à Tdge manda à tous les hommes vivants d’estimer de vinglans, saisit admirablement le plan de la terre habitable être leur pays et son camp son père, et malgré une foule d’ennemis, se en être le château et le donjon, tous les'gens
fit déclarer général de tous les Etals de la de bien parents les uns des autres , et les
Grèce , et conquit l’empire des Perses avec méchants seuls étrangers :au demeurant que une rapidité qui étonnera tous les siècles. le Grec cl le Barbare ne seraient point dis-
Le temps avait donc réuni dans Alexan- tingués par le manteau » ni à la façon de la
dre la puissance absolue et la lumière, qui targue, ou au cimeterre, ou par le haut cha- avaienl presque toujours été séparées; toutes peau ; mais remarqués et discernés, le Grec les qualités et tous les talents du héros avec a la vertu, et le Barbare au vice, en réputant la grandeur d’âme et la bienfaisance, si diffi* tous les vertueux Grecs et ions les vicieux elles à allier: ainsi les conquêtes d’Alexan* Barbares; en estimant au demeurant les ba-- dre devaient produire sur la terre une révo- biliements communs, les tables communes » lution différente de toutes celles qu’on avait les mariages, les façons de vivre, étant tous vues jusqu’alors: ce prince forma, en effet, un unis par le mélange de sang et la communion projet tel qu’aucun conquérant ne l’avait d’enfants... Quel plaisir de voir ces belles et formé. Alexandre, à la télé de toutes les for- saintes épousailles quand il comprit dans onè ces de la Grèce et de la Perse, ne se crut pas même lente cent épousées persiennes, ma*« seulement destiné à conquérir des provinces riées à cent époux macédoniens et ^ecs, ou à subjuguer des peuples , mais à réunir lui-n:érne étant conroniié de chapeaux de tons les hommes sous une même loi, qui fleurs, et entonnant le premier chant nuptial éclairât et qui conduisit tous les esprits , d’hyménéas , comme un cantique d’amitié comme le soleil éclaire seul tous les yeux ; générale (1).»
qui fit disparaître entre tous les hommes ton- i. On ne vit point Alexandre faire servir à tes les différences qui les rendent ennemis , ses triomphes les peuples et les rois qu’il
on qui leur apprit à vivre et à penser diffé- avait vaincus , ou les conquérir pour s’em-
remmeiit sans se haïr, et sans troubler le parer de leurs richesses, et en faire des na-
monde pour forcer les autres à changer de lions tributaires. Lorsqu’après une résistance Mntimont. opiniâtre, les villes des Indes lui envoient des
Socrate , Plaion , Zénon , etc., avaient eu ambassadeurs pour se soumettre à lui et en
des vues semblables ; mais tons les hommes obtenir la paix , il n’exige pour condition
n'étaient pas assez raisonnables pour en que de leur donner pour roi Ampis qu’ils
sentir les avantages, ni les philosophes assez avaient mis à la tète de l’ambassade (2). 11
puissants pour y assujettir ceux que la rai- trouve dans Taxiscün prince sage et bien- son ne persuadait pas. faisant, maître d’un pays riche et d’un peu-
Alexandre jugea qu’il fallait unir raulorité pie heureux: il se garde bien de le combattre,
à la lumière de la raison, pour élajilir parmi il en fait son ami, son allié, loue sa sagesse, les hommes ce gouvernement heureux et sage admire sa vertu, et ne dispute avec lui que que la vertu avait fait imaginer aux phi- de générosité; il reçoit ses présents et lui en losopbes. 11 espéra qu’il pourrait l’établir fait de plus grands auxquels ü ajoute mille parmi tous les peuples soumis à son empire, talents d’or monnayé (3). D’une multitude en y assujettissant par sa puissanib tous de petits Etats désunis, il en forme des pro- ceux que la raison ne persuaderait pas , et vinces qu’il rend heureuses. Dans toutes ses qui, en s’éclairant, conserveraient par rai- conquêtes et dans tous ses voyages, Alexan- son et par goût ce qu’ils n’aaralenl d’abord dre fut accompagné par des savants, par des adopté que par force ; « Estimant , dit Plu- philosophes, par des hommes de lettres; tous tarque, être envoyé do ciel comme un réfor- les philosophes, tous les savants, de quelque matcur, gouverneur et réconciliatour de l’u- pâvs, de quelque secte, de quelque religion nivers, ceux qu’il ne put assembler par rc« qu ils fussent, atlirèrent son attention , exci- montrances de la raison , il les contraignit tèrentsa curiosité, obtinrent son estime; sa par force d’armes, en assemblant le tout en un cour réunit les philosophes grecs, ceux de de tons côtés, en les faisant boire tous, par Perse et de l’Inde; ses faveurs, accordées â manière de dire, eu une, même coupe d’ami- tous, les disposèrent insensiblernent à s’esti« lié, et mêlant ensemble fes vies, les mœurs, mer et à se communiquer leurs idéeï (^^). les mariages , les façons de vivre : il coin- La terre changea de face sous ce couqué-
(1) Plutar., De la foriune d’Alexandre, irallé premier, i l’ouïr ainsi sagement parler, Tembrassa, et lui dit: Penses- trad. d*ÂmyuU Arrien, I. vu, c. 6. Diod. Sic. 1. xvii. lu que celle entrevue se puisse démêler sans combatire,
ii) Plutarq., Vie d'Alex. ‘ uoiiobbtaai toutes ces bonnes paroles et ces aimibles ca- «
5j Ibid. : c II y avait un roi nommé Taxise qui Icnolt resses; non, non, lu n’y as rien gagné; car je veux un pays aux Indes, de non moindre étendue, ^ ce qu’on coiuballre, et le combattre do courtoisie et d’honnêteté, dit, que Umte TEgypte, gras en pâturages, et abondant de aûu nue lu ne me surmontes point en bénéOccnce et bon- tous fruits, autant qu’il y en ail au monde, et si étoit lé. Ainsi recevant de lui plusieurs beaux pTés»*nls, et lui
homme sage; lequel, après avoir salué Alexandre, lui dit : en donnant encore davantage ; Unalemenl 'a un souper, en
Qu’avoûs-uous besoin de nous combattre, et nous faire la buvant k lui. il lui dit, je bois k toi mille talents d'or mou-* guerre l’un k l’autre : Alexandre, si lu ne viens point pour noyé. Ce présent fkcba bien ses familiers ; mais en récom- nous ôter l’eau, ni le demeurant de ce qui est nécessaire pense U lui gagna bien aussi les cœurs de plusieurs princes pour notre nourriture, pour lesquelles choses seules les et seiçneurs barbares du pays, t Plut., Vie d’Alex, nommes de bon sens doivent emrrr en combat : car (|uani (4) Il fit pourtant pendre quelques philosophes indiens aux autres biens et richesses, si j’en ai plus que toi, je q®i soulevaient les i>euples contre lui, et dont il n'avaH